Par le sang versé
détonations, il m’est difficile de définir avec précision la force dont disposaient nos assaillants… »
Fixant Guillemaud, Polain reprend son sérieux et devient presque solennel.
Pour le sergent, ça ne peut signifier qu’une chose : il va être question de futilité. Il ne se trompe pas.
« Dis donc, sergent, tu n’aurais pas une pipe ? Les réserves pour les jours de fête, ça me paraît un peu dépassé, tu ne penses pas ? »
Guillemaud sourit. Il ouvre un tiroir et tend un paquet de Mic à son compagnon.
« Tout un paquet ! s’extasie le Belge. Si le Bon Dieu m’aime, il me laissera le temps de le fumer en entier. »
Polain allume une cigarette dont il tire une longue bouffée avec délice.
« Je vais faire un tour, donne-moi une caisse de grenades, je vais la distribuer. »
Le tir d’artillerie s’intensifie de minute en minute. Une grêle d’obus s’abat sur le poste, faisant voler en éclats toutes sortes de matériaux. Tués ou blessés les hommes tombent. Polain marche droit, à pas lents. Sous le bras gauche il porte sans effort la caisse de grenades, et son souci majeur paraît être de préserver de la pluie la cigarette qu’il tient dans sa main droite.
Il est vingt heures quinze. La préparation d’artillerie dure depuis trois quarts d’heure lorsque, brusquement, c’est le silence. Les légionnaires eux aussi, cessent le tir. Il ne reste dans leurs oreilles que le sifflement que suivent les détonations, et l’odeur de la poudre qui imprègne leurs narines.
Du poste de radio, le capitaine Cardinal a compris que cet entracte précède l’assaut ; il donne l’ordre de redoubler de vigilance. Polain a distribué ses grenades, il poursuit sa promenade. En passant à proximité de l’ancien magasin d’armes, il est attiré par un bruit insolite.
Sur une vingtaine de mètres de long, la paroi de fond du magasin forme avec le mur d’enceinte un couloir. C’est un véritable boyau d’un mètre vingt de large dont les extrémités sont bloquées par deux solides portes de bois fermées au cadenas.
Silencieusement, Polain pénètre dans le magasin. Il connaît les lieux par cœur et peut s’y mouvoir malgré l’obscurité. Contre le mur opposé à la porte d’entrée, quatre couchettes superposées sont fixées. Une échelle de bois en permet l’accès. En souplesse, Polain grimpe. Juste au-dessus de la quatrième couchette, une lucarne d’aération donne sur le fameux boyau. Les vitres ont explosé et la lucarne n’est plus qu’un trou béant. Prudemment Polain jette un regard ; il demeure paralysé de stupeur.
Dans le boyau, les viets grouillent comme des rats, ils continuent à escalader en silence le mur d’enceinte, ils sont peut-être déjà cent ou cent cinquante à l’intérieur. À chaque extrémité du corridor, deux d’entre eux sont occupés à dévisser les plaques qui soutiennent les cadenas.
En une seconde, Polain juge la situation. Il connaît la solidité de ces plaques. Il est évident que les viets veulent les démonter en silence pour préparer une attaque surprise. Il leur faudra près d’une demi-heure pour y parvenir, aucun doute là-dessus.
Polain redescend de son perchoir. Sous le feu ennemi, il traverse la cour et rejoint au réfectoire le sergent Guillemaud. Le caporal-chef est calme, serein, un sourire fend son visage jovial ; il se saisit d’une nouvelle caisse de grenades :
« Ils en réclament encore ? interroge Guillemaud.
– C’est pour mon usage personnel, je suis sur un coup.
– Explique ! »
Polain repose la caisse, il semble avoir une nouvelle idée. Sur sa vareuse il serre son ceinturon d’un cran et commence à se bourrer de grenades qu’il accumule entre sa peau et son vêtement. En se gonflant de toutes parts, il explique :
« Sergent, ça fait longtemps qu’on se connaît, toi et moi. On en a fait des coups ensemble ! On a rigolé plus d’une fois. Tu sais mieux que personne que j’ai une nature joyeuse, eh bien, je vais t’étonner : me marrer comme je vais me marrer dans quelques minutes, ça ne m’était encore jamais arrivé ! Et comme je t’aime bien, je vais t’en faire croquer ! Viens avec moi… »
Sans comprendre, Guillemaud, en silence, suit son compagnon. Sur l’insistance de Polain, il transporte, dans une caisse, les grenades que n’a pu contenir la vareuse du caporal. À l’entrée du magasin, Polain chuchote :
« Je m’installe sur la
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