Par le sang versé
couchette supérieure, toi sur celle d’en dessous. Quand je n’aurai plus de grenades, tu m’en passes. »
Le sergent comprend.
« Il y a des viets dans le boyau ?
– Des viets ? murmure Polain sur un ton méprisant. Toute l’armée du Viet-minh est entassée dans ce couloir !
– Oh ! Putain, lance Guillemaud. Quelle boucherie !
– Quelle rigolade ! » rectifie Polain.
Sans le moindre bruit, les deux légionnaires gagnent les couchettes. Polain s’installe confortablement allongé, après s’être assuré, d’un bref regard, que la concentration des rebelles n’a fait que croître pendant son absence.
Alors, tranquillement, il dégoupille la première grenade, et la lance par la lucarne.
L’explosion suscite instantanément un concert de hurlements suivi d’un déchirant tumulte. Polain éclate de son rire tonitruant et poursuit ses jets de grenade, cherchant seulement à varier leur destination. Quand il a épuisé sa propre réserve, il en réclame de nouvelles à Guillemaud :
« Dégoupille-les-moi, sergent, on gagnera du temps. »
C’est dangereux mais les deux légionnaires ont l’habitude. Ils effectuent un véritable numéro de jongleur. Leurs index droits sont en sang à force de tirer sur les anneaux de dégoupillage.
Lorsque Polain est-certain qu’il ne reste plus un seul homme valide dans le boyau, il passe sa tête par la lucarne et contemple, admiratif, le résultat du carnage. Enfin, il semble satisfait et saute à terre.
« Leur idée n’était pas con, constate-t-il simplement. Ils auraient bien pu nous faire marron ! »
Profitant de l’accalmie provisoire, les deux légionnaires entreprennent un tour rapide du poste, s’assurant que les positions de défense et surtout les armes automatiques des blockhaus d’angles sont toujours occupées par des hommes valides. Cette précaution n’est pas superflue. Autour des mitrailleuses, qui sont servies chacune par trois légionnaires, ils découvrent de nombreux blessés (certains grièvement) qui ont préféré ne pas signaler leur état et continuer le combat.
De leur côté, les lieutenants Charlotton et Bévalot ont eu le même réflexe, et à plusieurs reprises, remplacent des tireurs et des chargeurs blessés, en dépit de leurs protestations.
En dix minutes les postes de défense sont à nouveau entre les mains d’hommes valides, mais malheureusement, souvent moins expérimentés.
À vingt et une heures, le silence est brusquement rompu. Ce n’est plus un tonnerre d’artillerie, ni un fracas de détonation, mais la lancinante jérémiade de centaines de trompes d’assaut qui déchirent la nuit de leurs geignements lugubres. Même pour les vétérans les plus endurcis, cette cacophonie exacerbe les nerfs. Et surtout ils en connaissent la signification : de toutes les montagnes environnantes, une horde humaine va maintenant se ruer sur le poste.
Au central radio, le capitaine Cardinal donne ses dernières instructions. Autour de lui ses subalternes savent qu’il n’a plus que quelques minutes à vivre. Ils seront nombreux à entendre ses ultimes paroles :
« Du courage, les enfants ! Au corps à corps, ils ne valent pas un clou ! »
Après la mort du capitaine Cardinal, le lieutenant Charlotton assure le commandement du poste, pendant douze minutes, avant de tomber lui-même, foudroyé, au moment où les premières vagues d’assaut parviennent à escalader l’un des murs d’enceinte.
Le blockhaus ouest succombe, et les viets s’emparent d’un fusil mitrailleur qui le défendait. Ils le retournent vers le poste. L’un des rebelles hurle en français, d’une voix aigre et aiguë :
« Rendez-vous ! Vous êtes perdus ! Rendez-vous ou nous vous tuerons tous ! »
Instantanée, la réponse vient du blockhaus sud. Sa mitrailleuse crache, déchiquetant l’orateur. C’est le caporal-chef Martin, le secrétaire du capitaine Cardinal, qui a tiré. Il est secondé par Piperno, le petit cuisinier sicilien, et Chauvé, le gitan.
Il est impossible de décrire avec précision le combat hallucinant et confus qui suivit ces instants.
Par vagues successives, les soldats viets parviennent à occuper de nombreuses positions à l’intérieur du poste. À la grenade, à coups de crosse, à l’arme blanche, les légionnaires finissent par les en déloger.
Polain, acculé contre un mur, se défend contre une grappe d’assaillants qui cherchent à le capturer vivant. Un
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