Par le sang versé
peux aller m’étendre et dormir deux ou trois heures. Je suis trop exténué pour me préoccuper des gravats et des débris de tuiles qui m’entourent. Je suis réveillé par un légionnaire envoyé par le sous-lieutenant Bévalot. Il fait beau, le soleil s’est levé, il est déjà chaud, mais le spectacle qui s’offre à moi est épouvantable. Les corps de nos vingt et un morts, étendus et rangés sous ce qui reste du réfectoire. Le capitaine Cardinal, le lieutenant Charlotton, les caporaux-chefs Polain et Huegin, les légionnaires Walther, Manault, Piperno le Sicilien, Baran, Speck, Chauvé le Gitan, Hergessen, et bien d’autres, que je connais peu ou mal parce qu’arrivés avec les derniers renforts de Bel-Abbès, il y a à peine huit jours… Il importe de procéder au plus vite à l’inhumation des corps en raison de la chaleur de plus en plus intense et aussi parce que des nuages entiers de grosses mouches voraces s’abattent sur eux.
« À huit heures quarante-cinq du matin, le contact radio en phonie est rétabli avec Bac-Kan. C’est le commandant Sourlier qui a pris lui-même le micro pour converser avec le radio. Il s’est mis à lui poser des questions pour le moins saugrenues de prime abord. Il est évident qu’il n’était pas sûr que Phu-Tong-Hoa n’était pas occupé par les viets en raison de notre dernier message. Les réponses faites aux questions posées par le commandant, lui ont permis de se convaincre qu’effectivement, Jungermann, le radio, était libre de ses réponses et que contre toute vraisemblance, le poste était encore aux mains de la 2 e compagnie.
« Ensuite, avec mon magasinier Bischoff, nous nous affairons à récupérer les armes et les munitions qui traînent un peu partout. Nous récupérons aussi des documents et notamment des plans du poste. En général ces derniers sont fort bien faits, extrêmement fidèles ; les viets étaient parfaitement renseignés sauf sur un point : tous les documents indiquent l’ancien emplacement de notre soute à munitions. Sur l’un des corps viets, dont l’uniforme porte des insignes de gradé, nous trouvons un drapeau rouge timbré de l’étoile jaune à cinq branches. Manifestement destiné à remplacer le nôtre. Mais celui-ci est resté hissé à son mât toute la nuit… »
Revenons à Cao-Bang où depuis le silence du poste de Phu-Tong-Hoa le 25 juillet à vingt et une heures, on est persuadé que la citadelle est tombée.
Le lieutenant-colonel Simon, commandant de zone, passe la nuit à préparer un détachement de secours, qui partira à l’aube. Ce détachement comprend un peloton du 5’escadron du régiment d’Infanterie coloniale, la 3 e compagnie du 23 e bataillon de Tirailleurs algériens, un détachement du Génie, et en protection, bien entendu, une compagnie du 3 e Étranger.
L’organisation de cette colonne de secours est logique et normale. Ce qui ne l’est pas, c’est que le colonel Simon en prenne le commandement en personne, exposant dangereusement sa vie. Ses subalternes tentent de le faire renoncer à ce projet. Mais l’officier supérieur demeure intraitable ; il sait que sa présence sur la R. C. 3 peut considérablement relever le moral des légionnaires qui peuvent tous subir demain le sort de leurs camarades de Phu-Tong-Hoa. Le colonel Simon dira simplement avant son départ :
« C’est la seule chose qui reste en mon pouvoir, j’estime que c’est peu. »
La colonne Simon mettra trois jours pour atteindre Phu-Tong-Hoa. Elle sera attaquée violemment quatre fois, subira des pertes sensibles, mais parviendra finalement à son but. Une fois encore, laissons parler le sergent Guillemaud :
« … Lorsque vers dix-neuf heures, les premiers éléments de la colonne tant attendue sont signalés au détour de la route de Diang, un soupir de soulagement monte du poste et un formidable hourrah retentit.
« Juché sur le blockhaus 3, jumelles en main, je scrute la route illuminée par le soleil couchant. Une jeep apparaît, se détachant de la colonne. Quatre hommes sont à bord, et il me semble reconnaître la silhouette du colonel ; c’est bien lui, ac compagné de son chef d’état-major, le capitaine Soulier, et d’un sous-officier de la section de protection…
« Dans le silence le plus complet, le colonel Simon termine à pied la montée vers le poste. Les commandements réglementaires retentissent. Le cliquetis des armes ponctue le maniement impeccable. La
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