Paris, 1199
qu’il habitait le Cloître. Ils s’y rendirent, mais un domestique
leur dit que son maître était parti à Vincennes où le roi l’avait mandé.
Ils ne pouvaient rien faire d’autre, sinon
attendre. Le lendemain, ils se rendirent aux messes du matin à Saint-Gervais
mais ne virent pas la jeune fille. Ils retournèrent ensuite au Cloître, mais
Corbeil n’était pas revenu.
Sur le parvis de Notre-Dame, le pilori était
toujours vide. En dînant dans un cabaret, ils apprirent qu’une ribaude avait
été emprisonnée à tort par l’évêché et que l’archidiacre se l’était fait
remettre. Elle était maintenant dans la prison du chapitre et serait libérée
sous peu. Au moins leur intervention avait-elle été utile, se dit Guilhem.
C’est ce même samedi que le prévôt de Paris apprit
par son frère que les deux hommes arrêtés par l’official avaient été libérés.
Il n’en savait pas plus. Philippe Hamelin n’en fut pas vraiment surpris. Ces
jongleurs n’étaient pas ordinaires. Ils connaissaient Lambert de Cadoc et
apparemment le mystérieux archer. Étaient-ils aussi venus dans le dessein
d’assassiner le roi ?
Une pensée le fit frémir : et si Cadoc était
complice ? C’était un mercenaire à la fidélité incertaine.
Cependant c’était lui qui avait prévenu le roi du
projet de Jean, cela parlait en sa faveur.
Sauf si tout cela n’était qu’un leurre.
Philippe Hamelin demanda à son frère de se
renseigner sur les raisons de la remise en liberté des jongleurs. Le soir, Robert
revint pour lui dire que Cadoc était intervenu auprès de l’official.
À quel douteux manège jouait Lambert de
Cadoc ? se demanda le prévôt de Paris. Il décida de retourner à la Corne
de Fer.
Le même jour, l’official Raymond Baudet se rendit
au manoir du Temple pour raconter à Lucas de Beaumanoir ce qui s’était passé.
— J’avais envoyé un moine à la Corne de Fer
pour écouter les conversations. Il a surpris des jongleurs qui posaient des
questions sur un archer. Le prévôt de l’évêché a été prévenu et est venu les
saisir, mais quand je les ai interrogés, j’ai appris que l’un était fils de
cardinal et l’autre chevalier et ami de Lambert de Cadoc. Il m’a affirmé qu’il
s’était renseigné sur un archer à la demande du seigneur de Gaillon, ce que
celui-ci m’a confirmé. Je les ai donc libérés. Mais si je viens vous voir,
c’est que je me pose maintenant des questions sur le seigneur de Gaillon.
Pourquoi a-t-il demandé à ce jongleur de se renseigner sur Robin au Capuchon,
car je suis persuadé que c’est lui l’archer recherché. Pourquoi le prévôt de
Paris fait-il aussi chercher cet homme à son de trompe ? La justice du roi
ne s’intéresse certainement pas à l’évasion d’un tisserand. Est-ce pour le
meurtre de votre sergent, ou y a-t-il d’autres crimes que j’ignore ?
Lucas de Beaumanoir ne l’interrompit pas, mais un
frisson glacial le parcourut quand il entendit que Lambert de Cadoc recherchait
un archer. Cadoc était au plus près du roi. Se pouvait-il que Philippe Auguste
ait eu vent de leur projet ?
— Que savez-vous d’autre sur ces
jongleurs ? demanda-t-il d’une voix égale, sans répondre aux questions de
l’official.
— Pas grand-chose, sinon que le chevalier se
nomme Guilhem d’Ussel et l’autre Bartolomeo… Ah oui, à leur auberge, ils ont
demandé après un comte de Huntington. C’est un nom anglais…
— Quoi ! ne put s’empêcher de s’exclamer
Beaumanoir.
— Vous connaissez ce comte ?
— Non… non… mais en effet Huntington est en
Angleterre…
— Je crois ne pas avoir l’esprit gauche,
noble grand maître. L’abbé Isembard m’a dit que l’archer qui avait délivré ce
tisserand était peut-être anglais, et maintenant j’entends parler de
Huntington. Je me demande si le nouveau roi d’Angleterre ne serait pas derrière
ce brouillamini…
Cet homme est trop perspicace et trop curieux,
s’inquiéta Beaumanoir, j’ai eu tort de le mêler à notre affaire.
— Je ne peux imaginer que le prince Jean, bon
catholique craignant Dieu, traite avec des hérétiques. Quant à vos autres
questions, j’avoue ne pas en connaître les réponses, mais continuez ainsi et
soyez assuré que Sa Sainteté appréciera votre zèle, dit-il pourtant, avec une
feinte amabilité.
Pendant que l’official se retirait, plutôt
rasséréné par les derniers propos du grand maître, Beaumanoir
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