Paris, 1199
révérend juge, où j’y ai rencontré le
Saint Pontife.
— Tu connais notre pape ? s’étonna
Baudet.
— Oui, noble juge. J’ai joué pour lui et il
m’a parfois confié des missions.
Tout cela était bien déroutant ! Inquiétant,
même.
— Que venez-vous faire à Paris ?
— Nous sommes jongleurs et troubadours, nous
venons jongler et chanter la gloire et l’amour, affirma Guilhem en haussant les
épaules.
— Vous jonglez avec des épées ?
Chantez-moi plutôt quelque chose ! intervint le prévôt en ricanant.
Guilhem s’inclina et commença de sa plus belle
voix :
Seigneurs oiez le nouveau conte
Que mon fabliau dit et raconte
Que jadis était un baron
Qui moult était de grand renom
Une fille avait merveilleuse
Étant pourtant fort dédaigneuse
Qui ne pouvait ouir parler…
— Assez ! cria l’official.
Il connaissait cette infâme chanson racontant
comment une pucelle, fausse niaise, affirmait ne pouvoir supporter d’entendre
les mots crus et demandait à son futur mari de les remplacer par d’autres, bien
plus impudiques [55] .
— Vous ne voulez pas entendre la suite,
gracieux juge ?
— Le prévôt de l’évêché vous a pris avec des
épées, pourquoi étiez-vous armés ?
— Je l’ai dit au prévôt, je suis chevalier et
mon compagnon est mon écuyer.
L’official était de plus en contrarié. Les
réponses de cet homme ne lui convenaient pas. Il était temps de le presser
plus.
— Où est votre amie ? Pourquoi a-t-elle
fui ?
— Je l’ignore, sans doute a-t-elle eu peur du
prévôt et de ses gens armés, répondit Guilhem, comprenant que l’official
croyait que la servante était Anna Maria.
— Qui est le comte Huntington ?
demanda-t-il.
— Un ami que j’ai connu quand il revenait de
la croisade en Palestine, répondit Guilhem sans hésiter.
— Pourquoi a-t-il un arc ?
— Il n’a pas d’arc, seigneur, mais une épée,
une hache, une masse et une miséricorde. Il était compagnon d’armes de Richard
Cœur de Lion.
— Vous avez parlé d’arc ! rugit le prévôt
en tendant un index accusateur vers lui. Je le sais !
— Peut-être, fit Guilhem avec une moue qui
pouvait donner l’impression qu’il fouillait dans sa mémoire. Ah ! En
effet, je me souviens, j’ai parlé d’un archer, mais c’était à la demande du
seigneur de Cadoc.
Guilhem avait décidé de tout mélanger. Si un
espion l’accusait de mentir, ce serait sa parole contre la sienne, ou celle de
l’hôtelier. Si on interrogeait Cadoc, il confirmerait lui avoir demandé de se
renseigner sur un archer anglais, même si c’était après qu’il eut posé
des questions sur le compte de Huntington ! Il serait difficile à
l’official de rendre cohérents tous ces témoignages !
— Vous connaissez le noble seigneur Lambert
de Cadoc ? s’enquit l’official en fronçant à nouveau les sourcils.
— J’étais avec lui au Louvre, hier. Il me
demandait de me renseigner sur un archer.
— Pourquoi ?
— Posez-lui la question ! Mais comme il
s’agit d’une mission secrète pour le roi, soyez prudent quand vous
l’interrogerez. Le seigneur de Cadoc n’est pas réputé pour sa patience.
— Tu prétends être en mission pour le
roi ? intervint le prévôt, brusquement inquiet.
— Allez donc au Louvre, vous dis-je, et
demandez au seigneur de Cadoc s’il ne m’a pas ordonné de rechercher un archer.
J’ajoute que le roi sera très contrarié contre vous quand il apprendra que vous
m’avez ainsi traité.
L’official avait suivi ce dernier dialogue sans
intervenir, envahi par une pénible sensation d’étouffement. Pouvait-il s’être
trompé à ce point ?
— Ramenez-les dans la salle des geôliers,
dit-il au prévôt, et faites préparer ma mule. Je vous accompagne au Louvre.
On les fit redescendre dans le premier sous-sol de
la tour où ils restèrent durant deux heures, assis par terre sous la
surveillance des gardes et des deux geôliers. Ils avaient faim et soif mais ils
n’obtinrent même pas un gobelet d’eau. On les avait cependant détachés.
Enfin le prévôt revint, seul, le visage contrarié.
Ils se levèrent.
— Nous avons rencontré le noble Cadoc et il a
confirmé vos dires…
— Nous sommes libres ?
— Oui, lâcha le prévôt à regret.
— Nos armes, notre argent ! ordonna
Guilhem sèchement.
— Venez avec moi.
Ils prirent l’escalier de la tour pour gagner
l’étage au-dessus de la
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