Paris, 1199
ainsi que
la femme qui l’accompagnait, tous deux en haubert de mailles. Par précaution,
les autres attendraient dans la basse-cour extérieure où un bâtiment hébergeait
les voyageurs.
Les visiteurs pénétrèrent dans une étroite cour
entourée d’une galerie à laquelle on accédait par un grand escalier. Avant même
qu’ils ne soient descendus de cheval, un jeune homme aux cheveux frisés et au
teint olivâtre qui se trouvait sur cette galerie crut reconnaître le front haut
et les mèches rousses qui sortaient du camail d’un des cavaliers. Intrigué, il
s’approcha de la balustrade alors que le cavalier rabattait son capuchon de
maille. N’en croyant pas ses yeux, le garçon resta figé quelques secondes en
reconnaissant le nez fin, les longs cils et la petite bouche aux lèvres
incarnates de sa sœur.
— Anna Maria ! cria-t-il en se
précipitant vers l’escalier.
Le comte de Toulouse était revenu d’une chevauchée
en Languedoc et en Provence où il avait rencontré ses vassaux au sujet des
cathares. Ceux qui se nommaient Bons Hommes étaient apparus en Flandre
et en Allemagne, une cinquantaine d’années plus tôt. En dépit des bûchers, la
doctrine considérée d’abord comme impure, puis comme hérétique, s’était
répandue et avait gagné le Languedoc et le pays de Toulouse. En 1165, les
cathares étaient si nombreux que l’archevêque de Narbonne et les évêques de
Nîmes, de Lodève, d’Albi et de Toulouse s’étaient réunis avec le vicomte
Trencavel de Carcassonne pour entendre leur chef spirituel. Malgré une
condamnation de la nouvelle doctrine par plusieurs prélats, un concile cathare
s’était tenu, un peu plus tard, dans le Lauragais où un évêque bogomile venu de
Constantinople avait ordonné quatre évêques.
Les bogomiles n’étaient pas des cathares, mais,
comme eux, ils vénéraient saint Jean, ne mangeaient pas de viande ni ne
buvaient de vin et considéraient que l’âme seule était l’œuvre de Dieu, le
monde matériel étant une création du démon. L’Église byzantine les tolérait,
car plusieurs de ses évêques étaient bogomiles.
Comme seuls des évêques pouvaient ordonner
d’autres évêques, le soutien des bogomiles avait permis aux cathares de bâtir
leur église. Ils ne se considéraient pas pour autant comme hérétiques ou
schismatiques. Simplement ils rejetaient l’Église de Rome comme trop
matérielle, donc appartenant au monde du Mal.
La simplicité de la doctrine cathare attirait
facilement des adeptes. Là où l’Église catholique romaine s’empêtrait dans de
confuses explications théologiques, là où la religion officielle ne pouvait
expliquer pourquoi Dieu tolérait tant de misère et d’horreurs, les cathares
proposaient une limpide explication du monde. Pour eux, il y avait deux
créateurs. L’un était lumière et l’autre ténèbres. L’un était le bien et
l’autre le mal. Chacun avait sa création et son domaine. Le Dieu bon avait créé
les esprits et les êtres purs. Son monde était invisible et parfait. Le Dieu
mauvais, c’est-à-dire le Diable, était celui des choses visibles et
matérielles. C’était de lui que venaient tous les maux, la barbarie et la
guerre. Ainsi la source des péchés était dans la matière et non dans l’esprit.
Chacun des dieux avait eu sa révélation, le Dieu
bon dans le Nouveau Testament, car Jésus avait dit : « Mon règne
n’est pas de ce monde », et le Dieumauvais dans l’Ancien puisque c’est lui
qui avait créé le ciel et la terre.
Dans le comté de Toulouse, cette doctrine s’était
très vite répandue, non seulement chez les artisans, les drapiers et les
tisserands, mais aussi chez les prêtres qui y retrouvaient le message de
tolérance et de refus de la violence qu’avait porté le Christ. De plus, les
cathares ne proposaient pas une lointaine résurrection des corps, mais une
réincarnation, sauf pour les plus purs d’entre eux, les Parfaits, qui
resteraient près du Seigneur.
Une grande partie de la noblesse défendait aussi
la nouvelle religion, beaucoup par intérêt, parce qu’elle affaiblissait la
puissance laïque de l’Église romaine, d’autres, comme le vicomte de Carcassonne
et la comtesse de Foix, par réelle conviction. Pour ces raisons, le père de
Raymond de Saint-Gilles avait été contraint d’accepter les cathares.
Son fils Raymond VI ,
d’un naturel tolérant, mais certainement aussi par calcul, car il avait
Weitere Kostenlose Bücher