Paris, 1199
de France l’a assassiné, vous devez le savoir.
Raymond ne répondit pas tout de suite. Par
tempérament, il essayait toujours d’évaluer les conséquences des décisions
qu’il prenait. L’argument de Guilhem était recevable, et surtout, il n’avait
aucun moyen de l’empêcher de partir. Son départ posait cependant un problème.
— Que dira le comte d’Armagnac ? Il vous
attendait pour vous remettre Lamaguère.
— Dites-lui la vérité. C’est un homme
d’honneur, il comprendra. Je serai certainement de retour d’ici deux ou trois
mois. Envoyez un autre chevalier prendre possession du château. J’ai là les
mille sous d’or pour le fief. Je vous les laisse, vous les lui remettrez.
Raymond fut touché par cette marque de confiance.
Il pouvait effectivement envoyer quelqu’un d’autre prendre possession du fief.
— Partez donc, dit-il en se contraignant à
sourire. Mais revenez vite me dire si le roi de France est un assassin.
Chapitre 8
A maury
vint chercher Robert de Locksley au moment où les cloches de Saint-Merry
sonnaient l’office de prime [27] .
Le jeune homme, habillé comme la veille avec un sayon à capuchon, était à pied,
car il avait vendu son cheval.
Locksley avait avalé une épaisse soupe et
terminait de ronger la carcasse d’un pigeon quand il vit entrer son voleur. Il
l’appela et lui proposa un verre de clairet de Montmartre que l’autre accepta
volontiers.
— J’ai passé mon après-midi d’hier à me
renseigner sur Gilles de Corbeil qu’on connaît surtout sous le nom d’Égidius
Corboliensis, annonça Amaury à voix basse, car ils n’étaient pas seuls à leur
table.
— Raconte-moi ce que tu as appris…
Durant le voyage, Locksley avait seulement dit à
Amaury avoir été chargé par la duchesse d’Aquitaine de retrouver le chirurgien
du roi Richard qui avait quitté le camp sans aucune explication. Cet homme,
nommé Célestin, avait étudié la médecine à Paris avec un maître nommé Gilles de
Corbeil. Ce dernier était donc sa seule piste pour retrouver le chirurgien.
— Égidius Corboliensis était bénédictin à
Corbeil dans sa jeunesse et son couvent l’a envoyé étudier la médecine à
Salerne.
Robert de Locksley hocha la tête. Il avait entendu
parler de l’école de médecine de Salerne qui, avec ses maîtres grecs, lombards
et arabes, était la plus réputée d’Europe.
— On m’a dit qu’il a étudié avec les plus
savants, seigneur ! Ensuite, il serait parti pour la Grèce, toujours pour
apprendre, puis il se serait rendu à Montpellier. Il paraît qu’il y a là-bas de
fameux médecins. C’était le moment où notre roi revenait de croisade. Notre
sire était au plus mal, il avait eu la suette en Palestine et ne guérissait
pas, il avait perdu un œil. Ses proches ont alors entendu parler de la
réputation de Gilles de Corbeil et l’ont fait venir. C’est lui qui a sauvé le
roi. C’est un vrai magicien, à moins qu’il ne soit un sorcier !
Corbeil n’était ni l’un ni l’autre. Ce qu’Amaury
ne savait pas, c’est que si l’école de Salerne avait une immense réputation en
médecine et en chirurgie, elle professait surtout la propreté, l’hygiène et la
saine alimentation. Les maîtres recommandaient aux médecins de se laver les
mains avec de l’eau vinaigrée, de tenir les plaies propres et de garder les
malades dans l’isolement. Ces soins et un régime adapté avaient fait merveille
et guéri Philippe Auguste qui, en quelques mois, avait pu reprendre la tête de
ses armées.
— Pour le récompenser, poursuivit Amaury,
notre roi l’a fait nommer chanoine. Il habite une maison du Cloître, le
quartier des chanoines près de Notre-Dame, mais on dit qu’il n’est guère aimé
du reste du chapitre [28] .
— Pourquoi ?
Amaury fit une moue pour marquer son ignorance.
— Je n’ai pas compris tout ce qu’on m’a
raconté, seigneur, et peut-être m’a-t-on menti, mais Gilles de Corbeil aurait
des convictions qui déplairaient à l’Église.
— Lesquelles ?
— Il a connu des médecins infidèles,
seigneur, et il approuverait leurs enseignements. On dit qu’il appliquerait les
prescriptions d’un médecin de Marrakech nommé Ibn Rushd [29] , dont il aurait été l’élève.
Locksley écarquilla de grands yeux surpris.
Corbeil aurait connu son ami Ibn Rushd et l’admirerait ? Si c’était vrai,
il ne pouvait imaginer ce médecin comme l’un des empoisonneurs de
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