Paris, 1199
grand, brun, vigoureux,
au visage carré à l’expression autoritaire, à peine tempérée par des lèvres
fines légèrement ironiques. Il n’avait rien d’un clerc et tout d’un homme
d’action, ce qui ne surprit pas Robert de Locksley, car s’il avait tant voyagé,
c’était sans doute parce qu’il en avait la vigueur. Tonsuré comme un moine, il
portait la robe blanche des bénédictins de Cîteaux avec le scapulaire noir à
capuchon, bien qu’il n’appartienne plus à cet ordre religieux.
— J’ignore qui vous êtes, seigneur comte,
fit-il courtoisement, mais sans aucune servilité. Revenez-vous de Terre
sainte ?
Robert de Locksley opina.
— J’étais en Palestine l’année derrière.
— Que puis-je faire pour vous ?
— Je suis anglais, mon père. Voici ce qui
m’amène. Je cherche un barbier chirurgien nommé Célestin qui aurait appris la
chirurgie auprès de vous.
Une ombre voila le regard du médecin qui baissa
les yeux pour ne pas croiser ceux de son visiteur.
— Je n’en ai pas souvenir, mais les élèves
qui suivent mes cours à Saint-Victor changent chaque année.
Locksley posa son regard sur lui.
— Cet homme est peut-être coupable de la mort
du roi Richard d’Angleterre, laissa-t-il tomber.
— Richard Plantagenêt ? Mais il a été
tué d’un carreau d’arbalète, m’a-t-on assuré au Palais !
Il faisait ainsi comprendre qu’il avait des
relations près du roi.
— En effet, mais Célestin l’a soigné,
peut-être mal soigné. Ou pire…
— Je suis désolé, mais je ne peux vous aider,
noble seigneur, décida le médecin d’un ton sec.
Toute couleur avait disparu de son visage qui
ressemblait maintenant à celui d’un trépassé. Visiblement terrorisé, il ne
voulait pas poursuivre l’entretien. Un comportement révélateur, se dit
Locksley, car n’importe qui, ayant entendu ce qu’il venait de dire, aurait posé
des questions sur Célestin et sur la mort de Richard Cœur de Lion.
— C’est regrettable, mon père. De vous, homme
d’Église, j’attendais plus de secours. Mais il est vrai que vous êtes le
médecin de Philippe Auguste et le maître de Célestin. Il n’empêche que si notre
saint pontife, qui aimait beaucoup Richard Plantagenêt pour sa pieuse
participation à la croisade, apprenait qu’il a été assassiné par un moine formé
par le médecin du roi de France, un roi qui n’est resté que quelques semaines
en Palestine, qui a répudié sa femme et qui est bigame [33] , vous seriez dans une position
délicate, tout comme votre roi.
Un silence hostile s’installa entre les deux
hommes, tandis qu’ils s’affrontaient du regard.
— Vous accusez le roi de France ? Vous me
menacez ? gronda enfin Gilles de Corbeil en s’appuyant sur la table,
peut-être pour se donner une contenance, peut-être parce qu’il chancelait
devant l’effroyable accusation.
— Nullement, je loge durant encore quelques
jours à la Corne de Fer, près de Saint-Merry. Si vous vous souveniez de
Célestin…
Sur ces mots, il le salua et se retira.
Dehors, Amaury l’attendait. Il monta en selle et
s’éloigna. Hors de vue de la maison du chanoine, Robert de Locksley guida son
cheval dans un cul-de-sac conduisant à un enclos où poussaient quatre rangées
de vignes. Là, il expliqua à Amaury qu’il avait fait peur au chanoine et que
celui-ci allait certainement sortir.
— Retourne devant sa maison : dès que tu
le verras, viens me prévenir et nous le suivrons. Il nous conduira peut-être à
Célestin.
Effectivement, quelques instants plus tard, Amaury
vint le chercher. Le jeune homme repartit aussitôt à la poursuite du chanoine
qui montait une mule. Locksley les suivit à bonne distance.
Corbeil s’achemina vers la cathédrale, passa la
porte de Saint-Jean-le-Rond, puis se dirigea vers le Petit pont. Méfiant, le
chanoine se retourna plusieurs fois, mais la rue était encombrée et s’il
aperçut Amaury à deux cents pas de lui, il ne le remarqua pas puisqu’il ne le
connaissait pas. Quant à Locksley, qui suivait le jeune homme, il était bien
trop loin pour que Corbeil le distingue dans la foule.
Le pont passé, ils prirent à gauche et furent très
vite dans des chemins bordés de jardins et de vignobles. Robert de Locksley
resta prudemment très loin d’Amaury.
La mule passa une porte dans une clôture de bois
construite sur un talus. Il n’y avait aucun garde et Locksley en déduisit que
cette fortification
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