Paris, 1199
Christ, comme se nommaient les Templiers.
Si les Templiers étaient pieux, ils étaient aussi
d’habiles commerçants. Riches, ils avaient acheté, ou reçu en donation, des
maisons, des celliers, des granges et des moulins autour de Saint-Gervais.
Quand le comte de Meulan, longtemps vassal du roi d’Angleterre, avait fait
allégeance à la couronne de France, il avait abandonné au roi la haute justice
du fief de Saint-Gervais et la tour du Pet au Diable. Le roi avait alors offert
aux Templiers le grand donjon pour qu’ils en fassent un entrepôt. Comme ceux-ci
possédaient leur propre port sur la Seine, devant leurs moulins, la rue du
Chevet-Saint-Gervais était devenue la rue des Moulins du Temple pour ses
habitants, car c’étaient principalement des chariots de l’ordre qui
l’empruntaient pour se rendre du port à la tour du Pet au Diable et à la
nouvelle commanderie de la Villeneuve.
Car le roi avait aussi offert à l’ordre des
Pauvres chevaliers du Christ un immense domaine au nord de Saint-Merry, un
endroit marécageux le long d’un ancien bras de la Seine qu’on appela très vite
les marais du Temple. En lisière du bourg Thibourg, ce fief englobait une
partie du Beau bourg, appelé ainsi à cause des femmes qui s’y prostituaient.
Les Templiers y avaient entrepris des travaux d’assainissement et construit une
chapelle en rotonde ayant la forme de celle du Saint-Sépulcre de Jérusalem,
ainsi qu’une imposante tour carrée à trois étages renforcée à chacun de ses
angles par d’imposants contre-forts [34] .
Ces constructions avaient été entourées d’un rempart avec une porte unique
protégée par un pont-levis. Dans l’enceinte, on avait construit de nouveaux
entrepôts, une cuisine, un réfectoire, un colombier, des maisons pour les
frères et les chevaliers et une écurie.
C’était devenu une petite ville, aussi l’avait-on
nommée la Villeneuve du Temple [35] .
En cette année 1199, la confiance du roi de France envers les Templiers n’avait
pas décliné puisque c’est dans la tour carrée de la Villeneuve que le roi
laissait le trésor royal. D’ailleurs, c’était un Templier, frère Haimard, qui
était chargé des finances royales.
Albert de Malvoisin, commandeur du Temple de
Londres, et Lucas de Beaumanoir, grand maître de l’ordre en Angleterre, avaient
comploté avec Maurice de Bracy et Philippe de Malvoisin, compagnons du prince
Jean, pour écarter Richard Cœur de Lion du trône. Mais ils avaient sous-estimé
le roi d’Angleterre et le prince Jean, qui n’avait pas pour habitude de
défendre ses amis, les avait abandonnés. Comme Richard ne voulait pas punir son
frère, qu’il savait faible et influençable, il avait préféré « battre le
chien devant le lion », comme on disait alors, c’est-à-dire châtier les
amis et les conseillers de Jean, jugeant que cela lui servirait de leçon.
Philippe de Malvoisin avait été condamné à mort et
exécuté et Maurice de Bracy avait été exilé en France, où il avait fait
allégeance à Philippe Auguste. Tous les Templiers ayant participé au complot
avaient été arrêtés. Si la plupart avaient été exécutés, Lucas de Beaumanoir et
Albert de Malvoisin avaient sauvé leur tête, car Richard Cœur de Lion avait
cédé aux pressions de l’Église. Ils avaient cependant été exilés d’Angleterre
et rejoint Bracy en France.
À Paris, Albert de Malvoisin et Lucas de
Beaumanoir avaient demandé l’hospitalité au précepteur de France qui dirigeait
l’ordre des Pauvres chevaliers du Christ. C’était une situation délicate pour
les Templiers français qui ne voulaient pas se mêler de la querelle entre les
frères Plantagenêt. Néanmoins, les deux exilés étaient des membres éminents de
l’ordre et avaient droit à des égards. C’est frère Haimard, le Templier chargé
des finances royales, qui avait suggéré à Gilbert Hérail, Grand précepteur de
France et depuis peu grand maître du Temple, de confier à Lucas de Beaumanoir
l’administration de la censive du Temple à Saint-Gervais.
La censive délimitait l’étendue des terres d’un
fief seigneurial. Dans l’espace de la censive, le seigneur possédait un droit
de justice, percevait un cens des tenanciers qui détenaient la terre ou les
édifices, et recevait un droit lors de la vente des biens. La censive du Temple
était une mosaïque de parcelles allant de la Seine jusqu’à la Villeneuve, et celles
autour de Saint-Gervais
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