Paris, 1199
du prince Jean sur les trônes de
France et d’Angleterre, puisque le fils de Philippe n’avait que douze ans. Si
cela arrivait, il pourrait retrouver sa fortune. Il aurait à nouveau des
serviteurs, des esclaves et des châteaux. Les femmes tomberaient dans ses bras
et il n’aurait plus besoin de ces bordelières qu’il faisait chercher sur le
port.
Une idée lui avait même traversé l’esprit :
le prince Jean était un faible. Bracy et son malheureux frère Maurice l’avaient
dominé dans le passé, alors pourquoi pas lui ? S’il faisait disparaître
Philippe et Richard, les deux obstacles qui se dressaient devant le prince Jean
pour qu’il accède au trône, pourquoi ne deviendrait-il pas son favori ? Et
si Jean tombait à son tour, pourquoi ne serait-il pas le nouveau roi ?
Cette perspective fabuleuse, éblouissante, l’avait fait chanceler un instant
avant qu’il ne revienne à la réalité.
Comment faire disparaître Richard Cœur de Lion et
Philippe Auguste ?
Au moment où Robert de Locksley suivait Gilles de
Corbeil à Saint-Victor, Lucas de Beaumanoir recevait Étienne de Dinant dans le
manoir du Temple, en présence d’Albert de Malvoisin et de Maurice de Bracy.
Debout, en grand manteau blanc avec la croix rouge
à huit branches sur l’épaule, affichant un visage noble et sévère, l’ancien
grand maître d’Angleterre forçait si bien le respect que même l’âme damnée du
prince Jean s’inclina devant lui, impressionné par sa prestance.
— J’arrive d’Angleterre, noble grand maître,
et j’amène avec moi celui que le commandeur de Malvoisin m’a demandé d’aller
chercher.
Malvoisin, vêtu d’un pourpoint doublé de peau
d’agneau, eut un sourire satisfait, bien qu’un peu hagard, car, depuis qu’il
était rentré de Limoges, il fêtait la mort de Richard et son visage sanguin n’avait
jamais été aussi cramoisi. Près de lui, Maurice de Bracy, fraîchement rasé, en
robe de velours vert serrée par une large ceinture soutenant sa lourde épée à
la poignée tissée, était coiffé d’une toque de drap garnie d’une épingle d’or
représentant saint Michel foulant aux pieds le prince du mal.
Un serviteur entra, portant un cruchon de vin de
Montmartre, des coupes, de petits gâteaux et des confitures. Il servit les
quatre hommes avant de se retirer.
— Votre homme est dans la cour, reprit
Dinant. Vous savez que vous aurez moins à faire, mes amis, puisque le roi
Richard est mort d’un carreau d’arbalète…
— Nous le savons d’autant plus que nous
arrivons tous trois de Limoges. La veille de la venue du roi d’Angleterre,
j’étais à Châlus où j’ai donné un flacon au chevalier qui défendait le château.
Plus tard, c’est lui qui a tiré sur Richard Cœur de Lion une flèche
empoisonnée, annonça dédaigneusement Beaumanoir.
— Seriez-vous pour quelque chose dans…
balbutia Dinant, stupéfait.
— J’ai fait ce à quoi je m’étais engagé. Si
le roi Jean souhaite en savoir plus, je lui donnerai tous les détails qu’il
souhaite.
— Nous espérons qu’il n’oubliera pas sa
promesse, ajouta Malvoisin, le regard vitreux après avoir vidé une coupe de
vin.
— Vous connaissez tous la loyauté de Jean,
les rassura Dinant sans sourire (car chacun dans la pièce savait à quel point
le nouveau roi était lâche et fourbe). Je retourne sur l’heure à Rouen annoncer
vos exploits à mon roi et je ne doute pas qu’il vous fasse parvenir une
récompense royale. Mais, en ce qui concerne Philippe…
— Nous nous en occupons aussi, promit
Malvoisin en levant la main droite. Pour l’instant, c’est tout ce que vous avez
besoin de savoir.
— En effet… J’ai appris autre chose à Rouen.
Un seigneur anglais qui accompagnait la reine Aliénor, et qui était présent à
Châlus lors de la mort de Richard, a volé là-bas une statuette d’or. Le prince
Jean offre cinq cents sous d’or pour qui le retrouvera.
— C’est la besogne d’un prévôt ! laissa
tomber Beaumanoir avec un regard méprisant.
— Peut-être, mais l’homme serait à Paris et
je crois que vous le connaissez. Si vous croisiez sa route, ce serait une
récompense vite gagnée.
— Qui est-ce ? demanda Malvoisin,
intrigué.
— Robert de Locksley, comte de Huntington. Il
avait été déclaré hors-la-loi par Jean, mais Richard lui avait pardonné. Ce
félon a fait preuve de reconnaissance en dépouillant son roi après sa
mort !
— Par
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