Paris, 1199
constituaient un apanage honorable qui permettait aussi
de justifier que les nouveaux venus ne logent pas dans la Villeneuve et ne
participent pas aux chapitres de la commanderie de Paris.
Dans cet apanage, Lucas de Beaumanoir avait reçu
le manoir du Temple, une vieille forteresse féodale située près du port, à
l’angle de la rue de la Mortellerie et du Monceau-Saint-Gervais. Quant à
Malvoisin, comme commandeur, il avait été nommé receveur des moulins du Temple,
une charge importante, car l’un des principaux revenus de l’ordre à Paris
provenait des cinq moulins autour de Saint-Gervais : trois flottant sur un
ponton devant la place de Grève, l’un sous le Grand pont et un dernier vers le
Palais.
Un an avant le début de notre histoire, Maurice de
Bracy, qui logeait dans une maison de la rue de la Vieille-Draperie, non loin
du Palais, avait reçu la visite d’Étienne de Dinant, un chevalier normand
proche du prince Jean. Si proche même qu’on disait qu’il en était l’âme damnée.
Dinant était un jeune homme blond aux yeux clairs,
très affecté dans son comportement et sa façon de s’habiller. Il s’était
présenté chez Bracy avec une fine cotte de mailles recouverte d’une de ces
chasubles qu’on appelait des dalmatiques. La sienne, sans manches, était en
fine soie brodée d’un décor d’animaux sauvages et doublée de fourrure
précieuse. Serrée à la taille par un baudrier d’argent où pendait une courte
épée à la poignée dorée, elle descendait jusqu’à ses genoux.
Le comte de Mortain voulait renouer avec lui,
avait-il dit à Maurice de Bracy. Le chevalier en exil avait été flatté jusqu’à
ce qu’Étienne de Dinant lui fasse comprendre que le prince exigeait d’abord une
faveur.
— Vous êtes un proche de Philippe Auguste,
avait-il dit.
— En effet, je rencontre le roi souvent quand
il est à Paris, avait remarqué Bracy avec suffisance.
Il n’avait pas ajouté que le roi ne lui demandait
jamais de l’accompagner chasser à Vincennes et qu’il se morfondait généralement
dans la capitale.
— Philippe a été l’allié de notre prince,
vous le savez, mais il ne l’est plus, car il s’est comporté avec une incroyable
fourberie.
Bracy avait opiné, bien que la réalité fût fort
différente : le fourbe ayant été le prince Jean !
— Notre prince n’a qu’un désir : que le
Diable emporte le roi de France. Mais Philippe a une robuste santé, et ne
s’engage jamais imprudemment dans les batailles. De surcroît, on m’a dit qu’il
est toujours bien protégé par une troupe d’hommes portant massues.
— En effet, c’est un lieutenant du seigneur
de Cadoc qui assure sa garde quand il est au Palais.
— Un homme aussi adroit que vous pourrait
surmonter ces difficultés.
À ces paroles ambiguës, l’ancien favori avait
deviné ce que lui demandait le prince Jean.
— C’est impossible… J’ai prêté hommage,
avait-il bredouillé.
Un sourire flottant sur ses lèvres, Étienne de
Dinant avait ostensiblement examiné la tenue de son interlocuteur : un
manteau dont les riches fourrures étaient mitées, une ceinture brodée dont
quelques ornements d’or manquaient, des gants percés, des chausses de soie
ternies et reprisées.
— Le prince Jean me disait que lorsque vous
étiez à sa cour, vous étiez un de ses plus élégants chevaliers, avait-il fait
avec un brin d’étonnement. Les plus belles femmes se jetaient à vos pieds, tant
elles adoraient vos cheveux bouclés et votre noble maintien.
Bracy avait passé la main dans ses cheveux ternes
et dégarnis qu’il n’avait plus les moyens de faire boucler.
— Si Philippe venait à disparaître, vous
retrouveriez votre fortune auprès du prince Jean.
— Le roi Richard s’y opposerait… J’ai été
chassé… avait juste lâché Bracy dans un souffle.
— Richard ne se ménage pas dans les
batailles. Imaginez qu’il soit blessé, ou pire… Philippe ayant disparu, notre
bien aimé prince pourrait bien devenir roi de France et d’Angleterre. Je n’ose
concevoir la puissance et la richesse d’un homme tel que vous près de lui…
Évidemment, le roi Richard reste un obstacle… reconnut Dinant avec une moue de
perplexité. Il a cependant tellement d’ennemis…
Maurice de Bracy avait alors compris ce qu’on
attendait de lui. Ce n’était pas seulement le roi de France que Jean lui
proposait d’occire, mais aussi son frère Richard ! Il avait
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