Paris, 1199
portait haubert, les autres étaient
en broigne maclée. Tous avaient un casque conique à nasal. Celui en haubert
avait des éperons de chevalier et portait une grande épée de taille. Les trois
autres présentaient un aspect tout autant redoutable. Le plus petit, avec une
épaisse moustache, avait une courte épée et un tranchoir ainsi qu’une fine lame
à écorcher pendue en travers de la poitrine. Le plus grand, s’il n’avait qu’une
miséricorde à la taille, transportait une hache et une longue masse à pointe
attachée à sa selle. La peau du visage du dernier, une véritable brute,
ressemblait à du cuir bouilli. Celui-là portait un fléau d’armes et une masse
était attachée à sa selle. Tous avaient aussi des rondaches ferrées.
Dans l’île, ne sachant où aller, ils prirent la
nouvelle rue Notre-Dame et s’adressèrent à un mendiant devant l’église
Sainte-Geneviève-la-Petite.
— On cherche une auberge tranquille,
compaing, pas chère, mais où le vin n’est pas de la lavasse.
Le miséreux les dévisagea avec inquiétude. Celui
qui lui avait parlé n’avait plus qu’un œil. Il n’avait pas l’air commode, pas
plus d’ailleurs que ses compagnons. L’un d’eux, édenté, n’avait que deux doigts
à une main. L’autre avait un grand tranchoir à la lame ébréchée. C’étaient des
soldats de fortune, des soudards capables de lui fendre la tête pour s’amuser,
s’il ne leur donnait pas satisfaction.
— Je peux vous conduire à la meilleure,
seigneur, répondit-il.
Ils le suivirent par un dédale de rues jusqu’à une
maison en encorbellement avec trois cannes blanches peintes sur la façade. La rue
était sombre, étroite et tranquille, même si elle puait la crotte.
— C’est la taverne des Trois Canettes,
seigneur. La meilleure table de Paris et les chambres sont propres.
Le borgnat considéra un instant la façade. Une
treille grimpait jusqu’à l’étage et une bonne odeur de volaille rôtie couvrait
presque celle des excréments.
— Simon, va voir ! lança-t-il.
L’un des hommes sauta au sol, entra et revint
rapidement.
— On peut avoir la grande chambre de l’étage,
et il y a une écurie derrière.
L’homme à l’épée jeta une obole de cuivre à leur
guide. Elle tomba dans la boue où le miséreux la ramassa.
C’est autour d’une oie rôtie que les quatre hommes
discutèrent de ce qu’ils allaient faire. Aucun d’eux n’avait connu une ville si
grande, mais ils n’osaient l’avouer. Comment retrouver ceux qu’ils
cherchaient ?
— Demain dimanche, après la messe, chacun
partira de son côté, décida le borgne. Nous visiterons toutes les rues de cette
île et c’est bien le diable si l’un de nous ne croise pas Locksley ou le
musard.
— Et s’ils sont dans une auberge sur l’autre
rive que nous avons traversée ?
— L’aubergiste m’a dit qu’il y avait aussi
des maisons sur la rive droite. Il y aurait deux gros bourgs :
Saint-Germain-l’Auxerrois et Saint-Gervais, ainsi que de petits villages.
— Pourquoi Locksley serait-il allé
là-bas ? répliqua le chef en haussant les épaules pour cacher son
inquiétude.
Chapitre 10
R obert
de Beaumont, compagnon de Guillaume le Conquérant, avait combattu à la bataille
d’Hastings. Conseiller de Guillaume, puis de son fils Henri, il était comte de
Meulan par sa mère et comte de Leicester. Devenu un des plus puissants barons
anglo-normands, il avait recueilli le fief de Saint-Gervais à la suite de son
mariage. En 1109, le roi de France ayant ravagé ses terres de Meulan, il avait
conduit une sanglante attaque sur l’île de la Cité à partir du
Monceau-Saint-Gervais. Son fils Galéran avait été à la fois vassal du roi de
France, du duc de Normandie et du roi d’Angleterre. On disait de lui qu’il
était le seigneur le plus grand et le plus riche de Normandie. Lors de
la guerre civile [36] entre Mathilde et Étienne, pour la possession du royaume d’Angleterre, il avait
pris le parti d’Étienne avant de changer de camp. Une volte-face qui lui avait
permis de garder ses possessions. Mais, plus tard, Henri II Plantagenêt, le père de Richard Cœur de
Lion, lui avait reproché d’être trop proche du roi de France qu’il avait
accompagné à la croisade. Tombé en disgrâce, Galéran était entré en religion.
Son fils, Robert de Meulan, avait alors prêté hommage à Philippe Auguste dont
il était devenu l’un des premiers baillis.
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