Paris, 1199

sont nombreux dans ce métier. Philippe de Flandre les
appelait lui-même les « abjects tisserands ».
     
    Les deux jours suivants, Maurice de Bracy, vêtu
d’une simple tunique de laine à capuchon serrée à la taille et de braies,
arpenta la rue des Coquilles, la rue des Deux-Portes, la rue Jean de l’Épine et
la rue de la Coutellerie, toutes proches de la rue de la Tisseranderie,
interrogeant drapiers, merciers, aumôniers, brodeurs et tapissiers, choisissant
ceux dont il était certain qu’ils ne le connaissaient pas, car même vêtu comme
un domestique quelqu’un aurait pu reconnaître le chevalier Maurice de Bracy.
    À chacun il racontait que son maître avait fait
venir des artisans pour installer les tentures de sa maison, et que l’un d’eux
avait oublié son bonnet. Comme cette colombe d’argent avait sans doute de la
valeur, il était chargé de retrouver son propriétaire, car son maître
s’inquiétait pour celui qui l’avait perdu.
    C’est le jeudi qu’un mercier à l’embonpoint
précoce lui dit, après avoir longuement regardé le bonnet :
    — Je mettrais ma main au feu que c’est celui
d’Étienne Le Trébuchet ! Vous êtes allé rue de la
Tisseranderie ?
    — Pas encore.
    — Vous auriez dû commencer par là, tout le
monde l’aurait reconnu.
    — J’y vais de ce pas. Ce Le Trébuchet
habite où ?
    — Vous ne le trouverez pas, répondit l’autre
en secouant la tête avec une expression attristée.
    — Pourquoi ?
    — Il a été arrêté pour hérésie par le prévôt
de Saint-Éloy et s’est évadé. Depuis, les gens d’armes du prévôt le cherchent.
    — Racontez-moi ça ! s’exclama Bracy,
abasourdi.
    Dès qu’il eut connu toute l’histoire, y compris
celle du mystérieux archer qui avait délivré le tisserand, Bracy rentra au
manoir et réunit Malvoisin et Beaumanoir.
    — Vous aviez donc raison, noble grand maître.
Le possesseur du bonnet à la colombe a été arrêté pour hérésie bogomile.
    Beaumanoir garda une expression dédaigneuse, mais
son regard laissa filtrer sa satisfaction pendant qu’il écoutait avec attention
le récit de Bracy.
    — Cet archer qui l’a délivré ne peut être que
Locksley. Reste à savoir pourquoi il a fait ça, fit Malvoisin.
    — Il est cathare, c’est tout ! affirma
Beaumanoir. Regardons les faits : Robert de Locksley vole une statue d’or,
il est poursuivi et vient se réfugier là où il est sûr d’obtenir de l’aide.
Sinon, pourquoi serait-il venu à Paris ?
    — C’est certainement cela… et en échange de
leur protection, les cathares lui demandent de libérer l’un des leurs, compléta
Bracy. C’est ce tisserand évadé qui l’a accompagné à la ruelle de Cul-de-Pet où
il a perdu son bonnet.
    — Il est caché par les cathares. Ça n’a
finalement que des avantages, dit Beaumanoir après un instant de réflexion.
    — Comment cela ?
    — Si nous parvenons à impliquer Locksley dans
la mort de Philippe Auguste, l’enquête découvrira qu’il s’agit d’un complot
cathare. Cela pourrait donner un bon prétexte au roi Jean pour intervenir. Avec
l’approbation du Saint-Père, il pourrait conduire une croisade contre les
hérétiques jusqu’à Paris.
    — Reste quand même à trouver Locksley, soupira
Bracy.
    — Il reviendra à la Corne de Fer où il a
laissé ses bagages et son cheval, remarqua Malvoisin.
    — Et l’aubergiste vous préviendra… ajouta
Bracy.
    — Peut-être… Mais il peut aussi ne pas le
faire… Il serait habile d’avoir quelqu’un sur place, suggéra Beaumanoir.
    — Qui donc ? L’un de nous ?
Locksley nous connaît, et mettre quelqu’un dans la confidence serait dangereux
pour la suite.
    — Si on fouillait la maison de
Le Trébuchet, peut-être trouverait-on quelque chose, proposa Bracy.
    — Si le prévôt de Saint-Éloy l’apprend, nous
aurons des comptes à rendre.
    — Nous sommes dans une impasse, soupira
Beaumanoir.
    Ils restèrent silencieux un long moment, chacun
envisageant des solutions qu’il rejetait avant même de les proposer tant elles
étaient irréalisables.
    — L’abbaye de Saint-Éloy est vassale de
l’évêché. Le prévôt pourrait être dessaisi au profit de l’official de l’évêché,
suggéra brusquement Malvoisin.
    — Et alors ?
    — J’ai rencontré plusieurs fois l’official
Raymond Baudet pour notre moulin sur le Grand pont. La maison au-dessus
appartient au chapitre de Notre-Dame qui est sans