Paris, 1199
officialis. Aussi, en dépit de son titre de docteur
en théologie, l’official avait vu ses ambitions sombrer peu à peu dans les
tâches insignifiantes de l’administration de l’évêché. Cette déception avait
aigri son caractère ambitieux et corrompu son jugement.
Le matin du samedi 8 mai, le tribunal de
l’official était réuni pour juger un couple surpris en train de paillarder dans
une sombre travée de la cathédrale.
La prostitution autour et dans la cathédrale était
l’un des délits les plus courants que l’évêché ou le chapitre ait à
sanctionner. La coutume était que le prévôt poursuivait les drôlesses en robe
rouge seulement si elles se faisaient trop voyantes sur le parvis. Elles
étaient alors condamnées au pilori. L’archidiacre du chapitre, lui, poursuivait
uniquement les puterelles qui forniquaient dans la cathédrale ou dans le
Cloître.
Depuis des mois, l’official avait observé une
intolérable indulgence de l’archidiacre envers ces ribaudes. Il faut dire que
les chanoines les fréquentaient assidûment, ce qui impliquait une certaine
complaisance. Raymond Baudet avait donc décidé d’y mettre fin. On ne pouvait
laisser se poursuivre de tels sacrilèges ! Le prévôt de l’évêché avait été
sommé de surprendre des fornicateurs et de les punir par un effroyable châtiment
qui servirait d’exemple.
Du haut de sa haute chaise et imbu de son
importance, tenant la verge d’argent de sa charge, Baudet avait écouté le récit
du prévôt racontant avec force détails ce à quoi il avait assisté, puis il
avait entendu l’avis du clerc docteur de l’Église. Il venait de donner ordre au
scelleur, le concierge de la prison qu’on nommait ainsi car il portait le sceau
de l’évêque au bout d’une chaîne, de faire venir les prisonniers.
Quand le couple fautif entra, escorté par trois
gardes de l’évêché en gambison blasonné et tenant des guisarmes, l’official les
observa un moment, puisqu’il ne les avait jamais vus. L’homme était un robuste
maçon, en tunique beige, aux mains calleuses, avec une barbe rousse
broussailleuse. Elle, plus très jeune, toujours dans sa robe rouge de putain,
était d’une grande maigreur avec un visage raviné, aux joues couvertes d’une
poudre rose sur lesquelles les larmes avaient laissé des traces claires.
Les prisonniers avaient baissé les yeux,
terrorisés par ce juge à l’expression impitoyable. Baudet avait un nez long et
fin, un menton en galoche, une dentition clairsemée, une peau cendrée grêlée
par quelque maladie d’enfance, des lèvres fines et cruelles et un front haut
surmonté d’une minuscule tonsure.
Comme les deux autres juges, assis plus bas que
lui, et le greffier installé devant un pupitre, il était en chasuble noire,
mais, pour bien montrer sa préséance, la sienne était finement brodée au col et
aux manches.
D’une voix posée, il prit enfin la parole en
jouant avec sa verge d’argent. Se sachant laid, il cachait son embarras en
ponctuant ses paroles de vastes gestes.
— Pierre Le Picard, après avoir entendu
votre confession faite au prévôt de l’évêché, je vous condamne à deux jours
d’exposition à l’échelle devant la cathédrale. Le crieur de la prévôté
annoncera trois fois par jour que vous avez forniqué dans un lieu sanctifié.
Vous paierez aussi à l’évêque deux deniers d’amende. Quant à vous, Jeanne La
Gouge, votre crime mériterait l’excommunication. Néanmoins, comme c’est la
première fois que vous êtes surprise à paillarder dans la cathédrale, mais
comme il est aussi nécessaire que la sanction refrène les appétits de vos sœurs
lubriques, je vous condamne à l’exposition à l’échelle où vous serez tourmentée
et brûlée avec une torche ardente. Après quoi, vous serez bannie du diocèse.
L’amende sera pour vous de huit deniers.
La torche ardente était un supplice pratiqué
uniquement par la justice ecclésiastique. Il consistait à passer une torche
enflammée sur le corps nu des femmes condamnées afin de brûler tous les poils,
cette pilosité ayant, comme chacun sait, une origine démoniaque. C’était un
supplice rare qui attirait une nombreuse assistance à cause des hurlements de
douleur de la suppliciée.
La prostituée hurla.
— Vous n’avez pas le droit ! Seul
l’archidiacre et le chapitre peuvent me juger, car j’ai fauté dans les travées
et vous n’avez juridiction que dans le
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