Paris, 1199
n’était pas
ignare et il connaissait bien l’anatomie. Mais chez les routiers de Mercadier,
les chirurgiens étaient généralement des forgerons, aussi le traitait-on en
valet, bien que ce soit Richard qui l’ait choisi. Il ne pouvait que s’incliner
s’il ne voulait pas finir pendu.
Mercadier prit un poinçon du chirurgien servant à
sonder les plaies et demanda au roi de se mettre sur le côté. Ensuite, d’un
geste brusque, il enfonça le carreau qui ressortit dans le dos en emportant un
morceau de chair sanguinolente. Richard hurla et perdit connaissance.
Avec la pince, le mercenaire tira complètement le
fer avant d’annoncer, plein de suffisance :
— C’est fini ! Vous voyez que ce n’était
pas grand-chose. Pansez-le maintenant. Demain, il n’aura plus mal.
Le chirurgien fit un emplâtre de soufre, de
poivre, d’ortie et de graisse de porc, mélange souverain pour ce genre de
blessure, et on laissa le roi se reposer dans sa tente.
Le lendemain, en enlevant l’emplâtre, le
chirurgien constata que la plaie avait beaucoup enflé. Malgré cela Richard Cœur
de Lion, qui avait moins mal, se leva et se fit habiller avant de sortir voir
les travaux du siège.
À cause de la blessure, Mercadier avait reporté le
plan prévu la veille et mis plus d’hommes dans le creusement de la mine. Voyant
son roi debout, il décida d’organiser un grand banquet pour fêter sa guérison.
Le soir, le vin coula à profusion et la fête se termina dans la débauche avec
les ribaudes qui suivaient la troupe.
Dans la nuit, ce fut la douleur qui fit émerger le
roi des brumes de l’alcool. Appelé, le chirurgien examina la plaie qui avait
encore gonflé et lui donna du pavot. Richard ne pouvait plus bouger ni bras ni
tête.
Le matin, Mercadier vint à son tour regarder la
blessure. Elle était si puante que le chef des Brabançons conseilla un autre
remède : la faire lécher par un chien. On alla donc chercher un animal. Le
soir, la plaie était complètement purulente. Le chirurgien essaya un cataplasme
d’épeautre, de coquelicot et de verveine avec du miel, mais seul le pavot calma
un peu la douleur de Richard.
Le jour suivant, les chairs avaient noirci et un
pus épais s’écoulait. Mercadier ordonna qu’on lave la plaie à l’urine. Comme le
roi était inconscient, sous l’effet de la drogue, il annonça au chirurgien qu’il
avait envoyé un messager à dame Aliénor, la mère de Richard, à l’abbaye de
Fontevrault, à cinquante lieues de là.
Le chirurgien approuva en silence. Depuis la
veille, il était persuadé que la blessure était empoisonnée et ne savait plus
que faire. Il avait remarqué des taches violettes, caractéristiques d’une fleur
de renoncule qu’on appelait le casque de Jupiter. Son suc étalé sur les pointes
de flèches provoquait brûlures des chairs et paralysie. C’étaient justement les
symptômes que connaissait le roi. Cet empoisonnement pouvait-il être
mortel ? Ses connaissances dans les plantes n’étaient pas suffisantes,
mais il avait observé que le chien qui avait léché la plaie avait disparu.
Était-il allé mourir dans un coin ?
Le soir, il constata que les chairs étaient toutes
corrompues et que la gangrène s’était installée. Si la blessure avait été faite
à un bras ou une jambe, il l’aurait coupé, mais c’était impossible si près du
cou.
Donc, Richard Cœur de Lion allait mourir.
Un peu plus tard, en préparant un cataplasme de
graisse mêlée de soufre et d’huile de noix, il songea qu’il devait préparer sa
fuite. Une fois le roi mort, il se doutait bien que Mercadier l’accuserait tant
la situation deviendrait dangereuse pour le capitaine routier. Le frère du roi,
le prince Jean, voudrait immanquablement châtier ceux qui avaient mal soigné
son frère.
Chapitre 3
A près
une nuit sans sommeil, le chirurgien décida de rester jusqu’à l’arrivée
d’Aliénor. Il alla plusieurs fois ramasser des herbes dans la forêt proche et y
dissimula quelques vêtements et de la nourriture. Ainsi, quand il partirait
vraiment, personne n’y prêterait attention et on ne découvrirait son départ que
bien des heures après sa fuite.
Le roi ne pouvait plus se lever, aussi ne put-il
voir la muraille du château s’effondrer trois jours après qu’il eut été blessé.
Ce même jour, arrivèrent une centaine d’hommes conduits par un lieutenant de
Mercadier, Gilles Le Mulet. Il fallut deux jours de plus pour dresser
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