Paris, 1199
d’Ussel ! lança-t-il d’une voix de stentor. Que fais-tu à Paris
habillé comme un gueux ?
Tandis que les autres autour de la table
dévisageaient le nouvel arrivant, Cadoc éclata de rire et écarta les bras pour
le presser amicalement contre lui.
— Que Jésus soit loué à jamais,
Lambert ! répondit Guilhem en le serrant lui aussi dans ses bras. J’ai
simplement appris que tu étais là et je suis venu te saluer.
Ils s’accolèrent comme les compagnons d’armes
qu’ils étaient. Cadoc était de petite taille, mais large d’épaules avec des
muscles puissants et un cou de taureau. Comme il le faisait toujours, autant
par jeu que pour montrer sa force, il serra Guilhem en essayant de l’étouffer.
Il n’avait pas changé, se dit Guilhem en faisant de même. Sous une apparence
bonhomme, Cadoc restait une brute violente et imprévisible. Ceux qui l’avaient
sous-estimé n’étaient plus de ce monde.
Aucun d’eux n’étant parvenu à faire céder l’autre,
Cadoc relâcha son étreinte et prit Guilhem par le bras pour le conduire à
l’écart des autres, vers une petite pièce voûtée.
— Ils n’ont pas besoin de moi, expliqua-t-il,
en parlant de ceux qui étaient autour de la table. Ils doivent décider le
morceau de courtine à finir en premier. Dieu sait si je m’en moque ! Les
travaux sont si longs qu’il y en aura encore pour des années !
Explique-moi plutôt ce que tu deviens. La dernière fois qu’on s’est vus
c’était… Il y a quatre ans, cinq, peut-être. Tu partais pour Toulouse.
— J’y suis toujours. Je suis au service du
comte qui m’a offert un fief et un château.
— Un château ? Pourtant tu ne parais pas
bien riche !
— Je suis venu à Paris discrètement, à
l’appel d’un ami. Pour qu’on ignore qui je suis, je me fais passer pour un
jongleur, ainsi que celui qui m’accompagne.
— Un ménestrel ? Toi ! Mais tu ne
sais que trancher à l’épée et écraser à coups de masse !
— Tu oublies que je jouais de la vielle, et
que je chantais. J’ai fait des progrès à Toulouse. Quant au compagnon qui m’attend
dehors, c’est mon écuyer et un authentique jongleur. Il vient de Rome.
Il allait poursuivre, et parler de Robert de
Locksley, quand Cadoc l’interrompit.
— Ton arrivée me donne une idée… fit le
seigneur de Gaillon en se frottant le menton hérissé d’une barbe rêche de
quelques jours. J’ai besoin de quelqu’un dans ton genre.
— Pour faire quoi ? demanda Guilhem,
intrigué.
— C’est une longue histoire. Tu sais que
Richard a été tué d’un carreau d’arbalète ? Un chevalier de Châlus a
réussi où j’avais échoué !
Guilhem se figea, s’efforçant de rester
impassible.
— Il semble que ça ait donné des idées à ce
pourceau de Jean. Le nouveau roi d’Angleterre aurait fait venir à Paris un
archer pour assassiner Philippe.
— Comment sais-tu ça ? demanda
prudemment Guilhem.
Cadoc lui raconta la conversation qu’avait
entendue son espion, répétant ce qu’avait dit le prince Jean dans l’orgie d’un
banquet : « L’archer que j’ai fait venir d’Angleterre n’a jamais raté
sa cible ! Philippe rejoindra bientôt Richard ! »
Par Anna Maria, Guilhem savait qu’Aliénor avait
demandé à Robert de Locksley d’enquêter sur la mort de son fils, persuadé que
Philippe Auguste en était l’instigateur. Mais au récit de Cadoc, il songea que
le prince Jean faisait un coupable bien plus plausible. Après l’assassinat du
roi de France, Jean pourrait bien devenir le maître d’un immense royaume.
Cadoc poursuivait :
— … Mais ce n’est pas tout, j’ai rencontré
hier le chancelier et le prévôt de la ville. Figure-toi que cet archer est déjà
à Paris où il a libéré un hérétique cathare emprisonné par le prévôt de
Saint-Éloy. Cela signifie deux choses : il y a des cathares à Paris, ce
dont je me moque, mais ils se sont alliés à Jean. Jusqu’où peut aller ce
complot ? Le prévôt Hamelin n’est pas très futé, en revanche je sais
combien tu es habile. Je me demande si tu ne pourrais pas chercher cet archer.
Un jongleur peut aller partout et poser toutes sortes de questions sans qu’on
se méfie de lui.
— Il y a des cathares dans le comté de
Toulouse, mais je n’ai jamais entendu dire qu’ils se mêlaient des affaires
temporelles, remarqua Guilhem. Ils vivent en bons termes avec tout le monde,
même avec les évêques, et ne visent
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