Paris Ma Bonne Ville
un demi-écu.
Certes, poursuivit-il, je n’ai point à me plaindre de la générosité de mes
princiers patients. J’ai reçu d’eux pécunes et pierreries, mais largesse est
facile à profonde bourse. Et davantage suis-je ému par le cœur de ces
mercenaires qui chacun tirèrent un écu de leur pauvre escarcelle, alors même
que le navré n’était point leur parent.
Ha !
pensai-je, et que dire alors du cœur d’Ambroise Paré, baillant tant de jours
d’infatigables soins à cet humble homme d’armes de qui il n’attendait rien que
le bonheur de l’avoir rendu à la vie ?
— Révérend
Maître, dis-je, la blessure au poumon de ce pauvre galapian me met à l’esprit
que j’ai ouï le Roi toussir au jeu de paume d’une rauque, vilaine et
inextinguible toux dont on le dit coutumier.
— C’est
vrai, dit Ambroise Paré, avec un soupir, et j’en suis bien marri, étant le
chirurgien du Roi et non son médecin. Car pour moi, je me suis souvent apensé
qu’une maladie du poumon – que ce soit naturelle intempérie ou plaie
d’arquebuse – se peut guérir et curer pour peu que le patient se tienne en
repos sans toussir, sans parler, sans fatigue, fuyant à se donner branle et à
suer. Hélas, le Roi fait tout le rebours : il tousse à cœur fendre. Il
rugit au lieu que de parler. Il souffle à perdre vent dans ses trompettes. Il
sue à sa forge. Et il s’exténue à la chasse et au jeu de paume.
— Le lui
dites-vous pourtant ?
— Tous
les jours. Mais le Roi, en ces matières, n’a fiance qu’en son médecin, lequel
est un âne de la plus sorbonique espèce et flatte son funeste penchant aux
desports les plus violents. Plus sage serait de le pousser à quérir un quiet
refuge au sein des « doctes vierges », comme dit votre périgordin
Montaigne.
— Charles IX
aime-t-il donc les Muses ? dis-je béant.
— Oui-da !
Il lit les vers. Il en écrit. Il ronsardise à la fureur.
— Tous
les Valois sont raffolés des arts, dit l’honnête l’Etoile, sans que je pusse
savoir, à son morose ton, s’il les en louait. La Reine-Mère protège Bernard
Palissy et Jean Goujon. La Princesse Margot parle latin à merveille. Et
l’éloquence française du Duc d’Anjou est d’une infinie suavité.
Cet entretien
m’apportait tant de lumières sur toutes choses, petites ou grandes, que j’eusse
voulu qu’il ne finît jamais. Mais le repas fini, Pierre de la Ramée s’excusa de
nous devoir quitter, sur ce qu’il devait visiter dans l’heure un marchand de la
rue Saint-Denis dont il était curieux, pour ce qu’il avait, cuidait-il, une
prompte et émerveillable méthode pour calculer les variétés des monnaies, des
mesures et des poids, faisant négoce quotidien avec d’autres marchands d’Italie
et d’Angleterre.
— Dico
atque confirmo, dit-il avec un sourire en se levant, nullum esse in
Academia Paris mathematicis artibus eruditum quem non familiarem carumque
habeam.
— Traduisez,
je vous prie, dit Ambroise Paré.
— Je dis
et j’affirme qu’il n’est homme instruit des mathématiques en l’Académie de
Paris que je ne tienne pour mon familier et mon ami, fût-il, ajouta-t-il en
sourcillant tout soudain, un de ces gens mécaniques que l’indocte Charpentier
tient en si grand déprisement.
Voyant Ramus
sur sa retraite, Ambroise Paré qui seul eût délayé davantage, mâchonnant si
lentement ses viandes, se leva aussi, disant qu’il cheminerait en sa compagnie,
ayant affaire pareillement au quartier Saint-Denis (qu’on appelle aussi
« la Ville » comme peut-être le lecteur se ramentoit), devant
conjoindre les os d’un genou rompu, raison pourquoi il avait, le matin, fort
curieusement étudié un squelette de supplicié qu’il conservait en son logis, et
du genou et des parties qui s’y trouvaient avait fait un dessin qu’il me montra
et que je trouvai excelse et minutieux. Ils voulurent bien l’un et l’autre me
donner, au départir, une forte brassée, et le cœur m’en battit fort tant ils
m’avaient émerveillé par leur science, leur audace et leur humanité.
— Des
deux, dit Pierre de l’Etoile, quand l’huis du logis eut claqué derrière eux, le
plus fameux est Ambroise Paré pour ce qu’il est l’allié des hommes contre la
menaçante mort. Mais j’opine, quant à moi, que Pierre de la Ramée est le plus
grand esprit, son intelligence embrassant tous les arts, et jusqu’à la
mathématique qu’il connaît mieux que nul autre en
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