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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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fraîche, et j’oserais dire que j’étais plus ragoûté de prendre
le potage au pot avec le même cuiller qu’eux que je le fus en de certains
dîners chez des grands (que je ne veux nommer) et où je tâchai, en me cachant,
à essuyer le commun outil du pli de ma serviette, tant la boutonneuse bouche
dont il sortait m’inspirait peu de fiance. Ha ! Comme j’aimerais qu’en ce
royaume, les raffinés au moins mangent comme nos bons et propres Suisses qui,
en leurs repues, baillent un cuiller à chaque convive afin que chacun soit
assuré de ne porter à sa lèvre que ce qui l’a déjà touchée.
    Les viandes en
ce petit souper furent abondantes et délectables, et les vins aussi, encore que
de ceux-ci j’usai avec modération, me gardant de trop carouser, sachant bien
que Bacchus, à le mignonner à l’excès, n’est qu’un ami trompeur de Vénus, y
portant d’abord pour y faillir ensuite. Corinne le savait aussi, je gage, car
elle ne me poussait point à boire, mais bien au rebours, à l’envisager en sa
blonde pulpe, l’œil fort allumé, le teint vif, le torse trémoussant et des
regards à enflammer des étoupes : manège qui ne laissait pas de
m’intriguer prou, pour ce que la maîtresse, survenant sur le minuit, risquait
fort, au train où allaient les choses, de trouver son rôt dévoré par la
servante. Et à quoi pouvait bien rimer tout ceci, je n’en avais pas la moindre
moitié d’un pensement, tant est que je m’avançais en cette affaire comme un
chat, la moustache hérissée, l’œil épiant, et la patte déjà sur le recul.
    Cette bonne
repue finie, Corinne se leva de table d’un air fort résolu, mais la taille
amollie, le parpal haletant, ses jolies tresses blondes dansant sur ses joues
roses, et d’un ton étouffé mais qui ne souffrait réplique, elle commanda à
Nicotin et Miroul de débarrasser la table de ses mets et reliefs. À quoi ils
firent mine d’obéir, mon Miroul, son œil marron fort égayé et le Nicotin avec
un air entendu qui me donna à penser.
    — Mais
devant que vous nous laissiez, mes mignons, dit Corinne, je veux que nous
portions une tostée à M. de Siorac, avec le vœu qu’il soit autant heureux et
félice en ses amours qu’il est superbe en sa vêture.
    Ayant dit,
elle plaça au fond d’un beau verre de cristal garni de filets d’or une croûte
de pain rôtie qu’en Paris on appelle tostée (dont les Anglais, à ce que
j’ouïs, ont fait toast, cette nation étant accoutumée à nous singer en
tout), lequel verre elle emplit à ras bord d’un beau vin de Bourgogne, puis, y
trempant ses mignonnes lèvres, en suça une gouttée et le tendit à Miroul qui,
entendant incontinent cette cérémonie (en notre Périgord pourtant tout à plein
déconnue) en but une bonne lampée et plus grande encore, celle qu’avala Nicotin
avant que de me tendre avec grâce la coupe, laquelle, prenant à mon tour à deux
mains, je vidai à cul sec (avec toute la gravité que me parut appeler
l’occasion) et, saisissant la tostée qui était tout au fond – ce que je
pense je devais faire –, la gloutis galamment.
    — M. de
Siorac a bu ! s’écria Corinne tandis que les deux valets m’applaudissaient
à paumes rompues. Il a bu et mangé la tostée que je lui ai portée ! Il
sera donc heureux et félice en ses amours si Dieu le veut !
    — Or çà,
poursuivit-elle l’œil en feu, vaquez mes mignons, de présent. Allons, qu’on s’y
mette ! Et sur l’heure ! Et sans barguigner ni délayer plus outre.
J’ai affaire seule à M. de Siorac.
    Sur quoi,
m’enserrant le poignet de sa petite main, elle me mena à un petit cabinet
attenant où, à la lumière d’une seule chandelle – laquelle se consumait
sur soi –, on voyait un grand lit tendu de pourpre où s’amoncelait la plus
grande confusion de coussins que j’eusse jamais vue. Mais de l’envisager plus
outre, je n’eus guère le loisir car, prestement derrière moi fermant l’huis et
tirant le verrou, Corinne me jeta les bras autour du col et me posa sur mes
lèvres sa bouche fraîche.
    Ha ! lecteur !
Quelle tostée ce fut là ! Et qu’il me fallut de fortitude pour qu’elle ne
finît pas incontinent sur les coussins que j’ai dits. Havre de grâce ! Que
je détestais en mon for (et hors de mon for aussi) le vétilleux point d’honneur
qui m’interdisait d’être complaisant à la servante quand la maîtresse s’était
promise !
    Mais
quoi ! La vanité a sa part en ces

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