Paris Ma Bonne Ville
vous êtes un grand fol d’avoir
sacrifié votre solace et délice à votre point d’honneur et qui plus est, de
vous faire une ennemie de cette fière Baronne ! Ne pouviez-vous laisser
les choses aller leur train, qui n’était pas d’une nature à vous navrer
beaucoup, au lieu que de défier cette haute dame ? Soyez assuré qu’elle
attentera de se revancher sur vous.
— Ha !
Miroul ! dis-je, je t’entends ! Mais faut-il abjectement ramper sous
les pieds d’une belle pour être à la fin en sa couche admis ? M me de Joyeuse, toute Vicomtesse qu’elle fût, ne m’eût osé jouer un tour d’une
telle impertinence, si impérieuse qu’elle fût en ses humeurs. Pourquoi
souffrirais-je chez M me des Tourelles cette méchante chatonie ?
— Mais
Moussu, dit Miroul, c’est une dame de la Cour, et à la Cour, à ce que je vois,
on ne fait pas les choses à la débonnaireté comme en nos provinces du Midi,
mais en guise fort féroce, comme bien vous vîtes cet après-midi avec M. de
Quéribus. Moussu, il nous faut être pliable davantage aux usances de la
capitale, ou nous allons tout perdre, je le crains.
Mais Alizon
qui avec Baragran et Coquillon était encore au labour quand nous parvînmes chez
le Maître Recroche (combien que la nuit fût vieille déjà et avancée) opina
autrement quand elle me vint chercher ma chandelle en ma chambre, l’œil fort
content de me voir si tôt au logis, ayant su par Miroul où j’allais, chez qui
et pourquoi.
— Ha !
mon gentilhomme, dit-elle, bien vous fîtes ! Vous n’eussiez rien eu de
toute guise ! La Baronne est fort dirigée, dit-on, par son confesseur et
ne veut point être adultère à son époux, encore qu’elle aime à s’en donner
l’apparence, pour être à la mode qui trotte. Mais si j’en crois Corinne, il ne
se passe rien en la petite maison de la rue Trouvevache, sinon des familiarités
avec elle-même et Nicotin.
— Mais,
dis-je béant, ces familiarités, ne sont-ce pas des péchés aussi ?
— Y
pensez-vous, Monsieur ? dit Alizon très à la vinaigre. Une chambrière et
un petit valet ? Cela ne compte point. Ils sont trop bas.
Le Maître
Recroche me vint dire le lendemain que l’avoine et le foin s’étant à Paris
grandement raréfiés du fait de l’énorme afflux du peuple en la capitale et les
prix de ces nourritures ayant pris en conséquence beaucoup de ventre, il était
fort marri d’avoir à quérir de moi, non plus un sol par cheval, mais deux, et
pour l’eau qui les abreuvait, il en voudrait d’ores en avant quatre sols au
lieu de deux.
— Quoi,
dis-je, Maître Recroche, l’eau a-t-elle pareillement enchéri que l’avoine et le
foin ? Ne la tirez-vous pas de votre puits ?
— Lequel,
Monseigneur, dit-il en me faisant un profond salut où, comme à son accoutumée,
il mettait quelque irrision, a tant diminué que je redoute qu’il s’assèche tout
à plein : raison pourquoi, le niveau de mon eau baissant, son prix monte
d’autant.
— Maître
Recroche, dis-je, dix sols pour mes quatre chevaux de selle et mon cheval de
bât. Et quatre sols de surcroît pour l’eau qu’ils boivent : cela fait
quatorze sols par jour pour mon écurie. C’est exorbitant de raison.
— Monseigneur,
dit Maître Recroche, en me faisant un deuxième salut et celui-là jusqu’à
traîner par terre le bout de ses bras arachnéens, l’exorbitance n’est pas tant
grande qu’elle apparaît. Vendriez-vous à un orfèvre une seule des perles qui
ornent votre tant superbe pourpoint, que vous auriez de quoi nourrir tout l’an
chez moi votre chevalerie.
— Ha !
Maître Recroche ! dis-je, je vous entends enfin ! Vous me faites le
prix à la perle et non au foin. Mais tope ! Ne discutons pas plus outre.
Vous aurez vos quatorze sols.
— Peux-je,
cependant, Monseigneur, me dit Recroche en me saluant une troisième fois (tous
ces saluts étant la cause, je gage, de cette sorte de bosse qu’on lui voyait
entre les épaules), peux-je présumer assez de votre débonnaireté pour vous
bailler un avis ?
— Présumez
et baillez de grâce, Maître Recroche. Je vous ois.
— Comme
vous n’avez pas de coche pour aller en la Cour mais cheminez à pied, ces perles
que voilà vous mettent en quelque danger de volerie. Que ne les vendez-vous à
bon prix à tel orfèvre de mes amis et les remplacez par des fausses, lesquelles
sont tant bellement imitées qu’on vous les cuide pour vraies.
— Mais,
dis-je, les
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