Paris Ma Bonne Ville
ventures-là. Le plaisir n’y suffit pas.
Il y faut aussi quelque gloire. Et encore qu’à Mespech je ne fusse pas sans
goût ni amitié pour mon petit serpent de Gavachette (à qui les pécunes du
Prince me permettaient de présent de bailler la bague en or qu’elle avait quise
de moi à mon département), M me de Joyeuse m’avait appris, et un
grand esprit m’avait loué, de prendre mon déduit en la dignité de mes
amoureuses.
Ce n’est pas
qu’un titre m’éblouisse, ni que je place la Baronne au-dessus de la chambrière.
Cependant, si ce sont là les mêmes fleurs, ce n’est pas le même bouquet. Lisant
quelques années plus tard les Essais de Michel de Montaigne, j’y vis qu’il
y parlait non sans friandise des « dames parées et sophistiquées ».
Le mot me plut, soit que Montaigne l’eût forgé de soi à partir de
« sophisme », soit plutôt qu’il en usât par analogie avec les vins
que l’on tâche de raffiner par de savants mélanges (procédé que l’on nomme sophistiquerie en nos provinces du Midi). Et pour moi, touchant les femmes, je sens bien ce
que Montaigne entend par là : car j’aime qu’une garce ne soit pas trop
simplette et qu’elle sache nous faire éprouver par son art et ses détours tout
le prix de ce qu’elle baille. J’abhorre certes les archi-coquettes quand rien
ne vient après leurs trompeuses mines. Mais, il faut bien confesser que lorsque
la place a volonté de se rendre, les mignardes manières, les subtils jeux, les
souris, les mots à double entendre, les œillades ambigueuses ajoutent un je ne
sais quoi de taquinant aux premières escarmouches qui n’est pas sans rehausser
le prix des dons ultimes.
Or de M me des Tourelles, je ne savais que ce que Quéribus m’en avait dit (où entrait
peut-être le dépit d’un amant malheureux) et, tenant que la preuve du fait est
dans le fait, je voulais être assuré que cette haute et galante dame me voulût
assez de mal pour ne me point faire tout le bien qu’elle m’avait promis. Car
enfin, commande-t-on à un amant de se rabattre le poil sur le corps entier si
l’on n’a pour dessein que de lui faire sur les lèvres quelques
baisotements ?
— Corinne,
dis-je, en défaisant les mains qu’elle avait nouées autour de mon col et en
mettant entre elle et moi toute la longueur de mes deux bras, qu’entends-tu, ma
mignote, par ces gentillesses ? Quelle affaire est-ce là ? Où me
veux-tu mener ?
— Havre
de grâce, Monseigneur, me dit-elle, n’est-ce pas clair assez ? Ne vous
ai-je point dit que je suis pliable à votre volonté ? Qu’attendez-vous
pour me soumettre plus outre ? N’avez-vous point appétit à moi ?
— Fort
bien tu as senti que oui.
— Adonc,
Monsieur, laissons les jaseries ! N’allez point faire comme le faucon mal
dressé. Votre gibier vole droit. Fondez sur lui.
— Corinne,
dis-je en riant, c’est assurément un bien bel et tendre oiseau que je me
mettrais sous le bec et les griffes. Mais de présent, c’est une autre proie que
je chasse.
— Ha !
Mon gentilhomme ! cria-t-elle, ne pouvez-vous chasser les deux ? Et
dégageant ses poignets de mes mains, elle me voulut remettre autour du cou lefrais licol de ses bras, mais je me dérobai de cette attaque et, la
saisissant aux épaules, j’écartai de moi à force son tant joli et suave corps
dans la doutance où j’étais de lui pouvoir résister, si derechef il s’accolait
au mien.
— Fi
donc, Corinne ! dis-je sourcillant. Tu volerais les prémices à ta
maîtresse et ne lui laisserais que la moitié de la moisson ! Est-ce là
bien agir envers une noble dame qui t’admet en sa familiarité et te traite si
bien ?
À quoi Corinne
rougit excessivement et dit comme indignée :
— Ha !
Monseigneur, j’aime Madame la Baronne de très bonne amitié, je lui suis tout à
plein loyale et dévouée, et je fais en tout son commandement !
— Quoi ?
dis-je, le fais-tu de présent ? Oserais-tu le prétendre ?
— Oui-da !
dit-elle fort courroucée.
— Corinne !
tu me confonds ! Ce serait sur le commandement de M me des
Tourelles que tu me bailles céans ton petit corps ? Peux-je le
croire ?
— Cuidez-le
ou non, Monsieur, cria-t-elle, l’œil enflammé, c’est le vrai, j’en atteste
céans la benoîte Vierge et tous les saints du Paradis.
— Mais à
quelle fin ? m’exclamai-je, levant les bras au ciel.
— Aux
fins de vous essayer.
— De
m’essayer ? dis-je béant, et
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