Paris Ma Bonne Ville
la chair que Guerchy, me fit grande impression par
son clair et pénétratif entendement dès qu’il ouvrit le bec, tout estéquit et
petit qu’il fût de sa corporelle enveloppe.
— J’opine,
dit-il d’une voix grave et forte qui m’étonna sortant de ce corps si frêle, que
l’attentement contre l’Amiral est le premier acte d’une tragédie qui, en toute
apparence, finira par le meurtre général de tous ses adhérents. Depuis le
mariage du Roi de Navarre, nous en avons reçu des avis de tous les côtés, et si
clairs et si manifestes qu’il n’est que d’ouvrir les yeux et les oreilles pour
les voir et ouïr. « Ce mariage », a prédit un personnage des plus
conséquents dans l’État il y a une semaine à peine, « fera couler plus de
sang que de vin ». Et je tiens de sûre source qu’hier un président du
Parlement a conseillé à un seigneur protestant de ses amis de quitter
incontinent Paris avec les siens et de se retirer pour quelque temps en sa
maison des champs. En outre, M. de La Rochefoucauld pourra vous dire
l’avertissement que lui a donné M. de Monluc avant son département pour la Pologne.
— Que
vous a-t-il dit, Foucauld ? dit le Roi de Navarre, lequel écoutait fort
curieusement M. de Ferrières.
— Ha !
dit La Rochefoucauld, bien je me ramentois ce que Monluc m’a confié à
l’oreille : « Quelques caresses qu’on vous fasse à la Cour, gardez-vous
de vous y laisser prendre. Trop de fiance vous jettera dans de grands périls.
Prenez du champ tant qu’il en est possible. »
— Il
n’est que de jeter un œil à l’alentour, reprit Jean de Ferrières, que
voyons-nous ? Paris s’arme en tous quartiers, et si la populace nous court
sus, que ferons-nous à cent contre un, les chaînes tendues aux ponts, les
portes des murailles fermées, les places et carrefours occupés par les milices
bourgeoises ?
— Que
concluez-vous, Ferrières ? dit le Prince de Condé.
— Qu’il faut
échapper à cette nasse ! dit M. de Ferrières avec véhémence, et sans
délayer une minute : enlever sur l’heure l’Amiral en litière, monter à
cheval et, tous l’épée au poing, saillir de Paris.
— Enlever
l’Amiral, s’écria le doux et bénin Téligny, y songez-vous ? M. de Mazille,
lequel ne peut être entendu céans, étant papiste, opine qu’il y a danger à
bouger le patient et à l’exposer à la contagion de l’air !
— M.
l’Amiral en a vu d’autres, dit M. de Guerchy. Après Moncontour, il commanda
toute la retraite de sa litière, étant blessé à la joue d’une pistolétade.
— La
blessure n’était point tant grave, dit Téligny.
— Ha !
dis-je, je n’ai jamais observé que navrure à face fût bénigne.
Phrase qui fit
que, se ramentevant que j’étais médecin, quelqu’un des seigneurs présents
dit :
— Qu’opinez-vous,
Monsieur de Siorac, de la transportation de M. l’Amiral ?
— Qu’il y
a à ce parti incommodité et péril, mais qu’il vaut mieux le prendre s’il y a
plus grand péril à ce qu’il demeure en Paris.
— Mais,
s’écria Téligny avec feu, qui peut croire que l’Amiral court céans un danger à
voir la grande faveur où il est auprès du Roi, lequel a poussé la
condescendance jusqu’à le venir visiter et conforter jusqu’à son logis ?
— Je ne
suis pas, dit alors mon cousin de Caumont, fort suspicionneux de ma complexion.
Mais j’ai trouvé je ne sais quoi de sinistre dans ces grandes courtoisies.
Toute cette scène sonnait faux. Et trop bien je me souviens quel bon visage
François de Guise fit à mon frère aîné avant que de le faire occire deux heures
plus tard.
— Allons,
Caumont, dit Téligny, le Roi n’est pas Guise ! Je connais le cœur du
Roi !
Phrase qui
plongea tous les assistants dans l’embarras tant par sa manifeste simplesse que
parce qu’aucun n’y osait contredire, du moins en public, sinon par le silence.
Et que long et lourd fut ce silence où seul comptait justement ce qui n’était
pas dit !
— Si
suis-je d’avis, dit enfin Jean de Ferrières d’une voix basse et ferme, qu’on
s’ensauve sans tant languir !
À quoi je
voyais bien que la majorité des seigneurs qui étaient là inclinaient, sauf,
hélas, les plus conséquents : le gendre de l’Amiral et les deux Princes du
sang, Condé et Navarre — Navarre surtout, lequel étant beau-frère du roi,
lui devait bien quelque ménagement, ce qu’il ne laissa pas de faire
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