Paris Ma Bonne Ville
gîtions dans l’ombre d’une encoignure
de porte pour aviser, nous sommes à cinquante toises à peine du logis d’Alizon.
Quérons son aide !
— Nenni, dis-je,
les dents serrées, cela ne se peut. Elle nous hait de mortelle haine, étant
tout encapuchonnée du prêche de son curé.
— Ha,
Moussu, dit Miroul, c’est une bonne garce. À bonne garce bon devant, lequel
vous avez mignardé. Il reste toujours quelque amitié de ces sueurs-là. Alizon
est à vous.
— Nenni,
dis-je, au diable. Allons, Miroul, poursuivons !
— Où ?
— À
l’aventure.
Laquelle nous
tomba quasiment sus sous forme d’un malheureux qui chut à moins d’une toise de
nous dans les fanges, défenestré de l’étage d’un logis que les massacreurs
avaient éventré, et d’où nous ouïmes crier à la mort des voix stridentes de
femmes. Je balançais si je devais leur porter secours quand je vis un homme
poursuivi par une demi-douzaine de bourgeois armés de piques, lequel poursuivi
leur faisant face tout soudain, mit l’épée à la main et enveloppant son bras
senestre d’un manteau, le dos contre le mur d’une maison, se résolut, à ce que
je vis, à bien mourir, ne pouvant guère navrer ses vils assaillants à
l’avantage, étant en pourpoint et ceux-là armés en guerre, avec corselet et
morion. L’un de ces lièvres cuirassés levant un falot pour mieux voir sa
victime, je la vis aussi et poussai un cri, reconnaissant M. de Guerchy,
lequel, à ce cri, nous jetant un œil, aperçut la livrée jaune et rouge de
Fröhlich et cria :
— À moi
Navarre !
Vous pouvez
penser si, dégainant à cet appel, on se rua sur ces pleutres, leur taillant la
croupière, les piquant au jarret, ce qui fut assez pour qu’ils s’ensauvassent
en huchant «À l’arme ! À la Cause ! À Madame la Cause ! »,
l’un d’eux abandonnant au sol sa pertuisane ensanglantée, de quoi Fröhlich se
saisit aussitôt en disant : « Herr Gott ! Voilà qui va
bien ! » car depuis le chamaillis chez l’Amiral, il n’avait que son
braquemart, et se sentait tout nu.
Le pauvre
Guerchy chancelant, Miroul et moi le soutînmes, mais le sang lui coulait de
toutes les parties du corps et surtout d’une fort vilaine navrure qu’il avait
au poitrail. Comme je lui disais que j’allais l’examiner et panser, il dit
d’une voix fort atténuée :
— Siorac,
tu perdrais ta peine. J’en ai et je tire à ma fin. Mais si toi, tu t’ensauves,
conte, je te prie, la façon de ma fin, laquelle fut digne de ma vie.
— Je le
ferai, dis-je.
— Et
donne-toi garde de ces marauds. Ils portent un chiffon blanc au bras et une
croisette au chapeau pour se mieux reconnaître.
Sur quoi, le
fiel lui tomba dessus le cœur et ouvrant grande la bouche en un dernier
attentement pour retenir le vent et haleine qui de lui s’en allaient, le beau
Guerchy expira, étant mort en honneur, comme il avait dit, la face ferme et
l’épée à la main.
— Ha !
Moussu, ne demeurons point ! dit Miroul tandis que nous tirions à l’ombre
de la lune sous l’encorbellement d’un logis, bien marris que même à l’ombre, la
nuit fût tant claire et brillante. Ces couards, reprit-il, s’en peuvent
revenir. Prenons du large !
— Mais,
dis-je, pas avant que Fröhlich ne retire sa livrée jaune et rouge, laquelle
nous trahira partout comme étant huguenots, et à la fuite.
— Ach !
Mein Herr ! dit Fröhlich, la voix serrée par le nœud de sa gorge, un
Suisse de Navarre quitter sa livrée ! Schelme ! Schelme ! (Ce qui, je gage, voulait dire : honte ! en son patois.)
— Il le
faut, Fröhlich, dis-je roidement assez. Il y va de notre sûreté à tous trois.
— Ach ! dit Fröhlich, quitter ma livrée de Navarre, c’est rompre mon serment de
Suisse !
— Tu le
rompras, Fröhlich, dis-je ou, sanguienne, tu nous quittes !
— Was ! cria Fröhlich, les larmes lui coulant sur sa face, large et rouge comme un
jambon, vous quitter ? Où irais-je sans vous, mon gentilhomme ? Que
ferais-je ? Qui me commandera ?
— Moi,
dis-je, de présent. Et mon commandement, Fröhlich, est que tu te dérobes sur
l’heure, et laisses ta livrée céans.
Ce qu’il fit
enfin, les pleurs lui chaffourrant la face, et de gros soupirs soulevant son
énorme poitrine, et non sans plier sa livrée de façon fort proprette et la
poser avec soin sur le rebord d’une fenêtre, comme s’il eût pensé revenir la
quérir après le massacre. Après quoi,
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