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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pensai-je,
lequel ? Celui des massacreurs ou celui des assassinés ?) Montons,
poursuivit-elle, à ma chambrette, mais sans dire mot et sans noise aucune. Le
logis est vide de ses hommes, mais non de femmes dont je ne sais si elles
sommeillent toutes, l’arquebusade étant si proche. Suisse, dit-elle en se
retournant, le degré craque : fais-toi léger.
    Ce qui ne fut
point assurément facile, mais la chambrette atteinte enfin, la porte close, et
Fröhlich, bouche cousue, posant sa grosse masse sur une chétive escabelle,
Miroul et moi assis sur le lit, je dis à voix étouffée à Alizon ce que
j’attendais d’elle.
    — Ce ne
sont pas brasseaux, dit-elle acquiesçant sans même balancer, mais manches de
chemise de prime coupées et cousues à l’épaule du pourpoint. J’ai le fil et
l’aiguille, mon Pierre, mais non les manches, d’autant qu’il en faut trois.
    — Quatre,
dit Miroul à voix étouffée, pour ce que le maestro Giacomi nous attend sur la
place de Grève.
    Mots qui me
poignèrent à vergogne, pour ce que je m’étais oublié, en mes angoisses, de ce
rendez-vous-là.
    — Voici
ma chemise, dis-je, me dérobant de mon pourpoint. Taille, Alizon. Une chemise
sans manches, c’est assez pour moi dans la touffeur de l’heure.
    — Voici
la mienne, dit Miroul. À deux manches, la chemise. Le compte y est.
    Sans mot
piper, mon Alizon se mit au labour à la chandelle, cisaillant, cousant et par
moi commençant, vive et le doigt léger, mais la larme au bord du cil, petite
mouche d’enfer, laquelle, à dire vrai, n’était point tant d’enfer que de
paradis, j’en eusse d’avance gagé mon âme, et vaillante de surcroît, pour ce
qu’elle hasardait sa vie à cette aide et secours, et celle de son petit
Henriot, si mignardement ensommeillé en sa bercelonnette, le poing fermé sous
sa suave joue.
    J’eusse bien
pris le joli enfantelet dans mes bras tant m’eût conforté contre ma poitrine sa
tiède et tendre chair, à qui toute cruauté était de présent déconnue, n’étant
pas homme encore, mais tant proche du ciel. Point ne le fis pourtant. Sans
compter que je craignis de l’éveiller de ses songes étoilés, je me sentais trop
sueux et sanglant après mes deux combats pour oser même le toucher du doigt.
Ha ! lecteur ! Je me ramentevrai, jusqu’à la délitescence de mon
humaine forme, ce long silence à la chandelle dans la chambrette d’Alizon (car
de peur de donner l’alarme aux voisines nous n’osions ni branler un orteil, ni
ouvrir le bec et à peine respirer), Alizon cousant, accoisée, l’œil humide et
le souffle court et le petit Henriot tant souriant aux anges en son berceau que
s’il eût folâtré dans le jardin d’Éden.
    Aucun de nous
n’ayant de chapeau pour y mettre les croisettes, il fallut se contenter des
brasseaux de ces misérables, Miroul glissant dans son pourpoint celui de
Giacomi avec les épingles pour le lui attacher à l’épaule si la fortune voulait
qu’on le rencontrât sur la place de Grève. On descendit, ou pour mieux dire, on
se glissa au bas des degrés plus silencieux que belettes dans les herbes, et
Alizon ayant déverrouillé l’huis, elle osa, se jetant dans mes bras, me parler
à l’oreille, pour ce que le vacarme et l’arquebusade et les cris dans la rue
Tirechappe couvraient sa voix.
    — Ha !
Mon Pierre ! dit-elle me mouillant le cou de ses amères larmes, c’est
l’enfer déchaîné ! Dans ce logis que tu vois là éventré, toutes les
verrières détruites et les meubles hors, j’ai vu, de ma fenêtre, une famille
entière égorgée. Père, mère, chambrière (enfant dont l’un de l’âge de mon petit
Henriot), tout a passé sous le couteau de ces impiteux, les corps dénudés,
traînés par des cordes sur les fanges jusqu’à la rivière de Seine, gémissant
encore et la picorée entassée sur un char. Ha ! mon Pierre ! Entre
dire qu’on le doit faire comme, hélas, j’ai dit, et le faire, ou le voir, quel
abîme ! Peux-je cuider que la benoîte Vierge, qui est tant douce et bonne,
commande tant de sang ?
    À cela je ne
répondis miette, ayant le cœur trop lourd et la poutounant prou, je l’épousai
de tout le corps comme si j’eusse voulu que le sien avec le mien ne fît qu’un.
Ma voix enfin retrouvant, je lui dis à voix basse un grand merci et la promesse
de la revenir visiter si je réchappais à cette émotion. Et elle me tenant, ses
faibles bras autour de mon col me serrant avec une force

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