Paris Ma Bonne Ville
peine
avions-nous atteint le porche de Maître Sanche qu’ils furent sur nos talons.
Pour non pas nous laisser tailler des croupières, il fallut faire face tout
soudain, nos dards en avant. Ce fut l’ultime assaut et le plus furieux qui me
laissa m’émerveillant de la folle vaillance de ces gueux désespérés qui, ayant
mon or, s’acharnaient à quérir ma vie au prix de la leur, au nom de cet étrange
et vétilleux point d’honneur qui, chez les chétifs comme chez les grands,
éternise les guerres. Giacomi et Miroul, se sentant plus à l’aise à défendre ce
petit porche piétonnier où nul ne les pouvait percer par le dos, prenaient de
l’appétit à défaire ces coquins. Ayant derrière eux ouvert l’huis de Maître
Sanche, je dus, ô merveille, les appeler par deux fois avant qu’ils
consentissent à se mettre à l’abri et non sans que Miroul, avec un affreux
jurement (lui, le bon huguenot !) n’eût jeté sa torche enflammée à la face
des assaillants.
L’huis reverrouillé, Balsa, le
cyclopéen commis de Maître Sanche, apparut, fort effaré, une lanterne à la
main.
— Ha ! dit-il, Révérend
docteur médecin, mais vous saignez !
Et en effet, m’envisageant dans un
bout de miroir qui pendait au mur, je vis que mon cuir de cheveu sur le côté
senestre était estafilé sur deux pouces de long, la petite navrure point grave
ni profonde mais pissant le sang comme vache au pré, la joue, le cou et la
fraise de ce côté en étant tout à plein rougis.
— Ha ! Miroul !
m’écriai-je tout soudain, mon bonnet de docteur, si bellement houpé, je l’ai
laissé sur le carreau ! La pointe de ce brigand me l’a quitté !
À peu que je ne retournasse par
les rues pour le quérir tant j’étais mortifié que les gueux eussent de moi ce
trophée, et le jour même, hélas, où je l’avais reçu, avec les honneurs suprêmes,
du Chancelier Saporta. Mais il me fallut panser, et panser Miroul qui en avait
dans le gras de l’épaule, Giacomi seul étant indemne tant son art était fin, sa
pointe prompte, et longue, son allonge.
Nous n’étions point encore couchés
qu’un archer vint s’enquérir de nous de la part de Cossolat, lequel survenant
enfin place des Cévennes – le guet s’étant fait rosser cette
nuit-là dans la Devalada – avait arrêté les gueux que nous avions
navrés et sans même les serrer en geôle, les avait envoyés tout bottés au
gibet. (Tout bottés, c’est façon de dire, aucun de ces misérables n’ayant botte
ni chaussure.)
Je mandai par l’archer à Cossolat
qu’il me fît la grâce de rechercher partout mon bonnet carré de docteur dont
j’avais grand besoin pour ma chevauchée triomphale du lendemain. Mais le
lendemain, n’ayant rien reçu de lui, j’envoyai un tambour dans tous les
sixtains de la ville promettre une récompense de deux écus (la seule pécune qui
me restât) à qui me le rapporterait. Mais cela ne servit à rien qu’à apprendre
aux manants et habitants de la ville notre combat de la Caussalerie, lequel les
archers de Cossolat qui ne l’avaient point vu avaient pourtant conté partout,
grossissant à chaque fois les nombres, tant et tant qu'a la fin, Giacomi,
Miroul et moi, nous fûmes réputés avoir occis ou navré, en cette nuit-là, une
bonne centaine de gueux.
Cependant, la perte de mon bonnet
de docteur me faisait un tabustant souci, et j’en écrivis à mon
« père » Saporta, Miroul lui portant ma lettre à laquelle le
Chancelier fort raisonnablement répondit que puisque j’avais le chef pansé, je
n’y pouvais mettre un bonnet et qu’il m’autorisait, en conséquence, à mener mon
triomphe sans la coiffure de mon grade.
Triomphale, ma chevauchée le fut
plus que de nom, pour ce que je fus acclamé partout et par tous, non point
parce que j’étais promu docteur (ce qui n’étonnait plus en cette ville où,
chaque année, on en façonnait une douzaine tant dans les arts qu’en médecine et
dans le droit) mais parce que, avec mes compagnons, j’avais joué si
gaillardement de l’épée contre les gueux, lesquels étaient en horreur céans
auprès des bonnes gens, commettant, la nuit venue, des excès infinis, éventrant
les huis des maisons, tuant jusqu’à des notables et bourgeois étoffés, forçant
filles et femmes.
La robe noire de ma jument Accla
resplendissait de tous ses miroitants reflets, Miroul lui ayant redonné le
matin même de la brosse, combien qu’il pâtit encore de sa navrure
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