Paris Ma Bonne Ville
chemin à rondir le rocher que Miroul avait escaladé ! Et comme
ce temps nous parut long ! Mais tout soudain, nous y fûmes, et comme
surpris d’envisager nos ennemis, alors même que nous les savions là.
Ils n’étaient
point sept comme Miroul avait dit mais huit, et le huitième derrière les
montures sans cavaliers était le curé de Marcuays, lequel les laboureurs du
plat pays nommaient Pincettes, en raison de sa paillardise comme j’ai conté
ailleurs.
— Ha !
Monsieur le curé, criai-je, que faites-vous donc là ?
Mais il ne put
répondre, nos chevaux se mettant à hennir comme fols, y ayant peut-être dans le
camp adverse un étalon non coupé qui troublait nos juments. Ceux ou celles d’en
face répondant, ce fut un beau concert et un grand remuement de croupes, de
sabots et de poitrails qu’il fallut brider et apazimer avant que la parole
revînt à l’homme. Je dis la parole, je n’ose dire la raison, pour ce qu’à tout
prendre, l’homme est une bête moins sage que sa monture, et mille fois plus
cruelle.
Pendant ce
temps, ne pouvant ouvrir le bec en cette éperdue vacarme, nous nous
entrevisagions et quant à moi, fort curieusement, car ce Fontenac qui était
l’ennemi juré de notre famille (et son père avant lui) je ne l’avais jamais vu,
le Baron-brigand n’apparaissant mie dans les embûches qu’il nous dressait, sauf
de présent, ce qui ne laissa pas de m’étonner et de me mettre puce au col. Et à
vrai dire, bien qu’il fût le plus fieffé brigand de la création, je ne faillis
pas à l’admirer tandis que, raide et droit sur son cheval blanc, il tâchait de
le maîtriser. Car à n’envisager que sa charnelle enveloppe, c’était un fort
beau gentilhomme, et de sa corpulence très grand et très fort quoique tirant
quelque peu sur le gras, à ce qu’il m’apparut. Quant à sa face, à la considérer
d’œil à œil, elle était belle aussi, la mine noble et haute, le cheveu et la
barbe bouclés, la pupille fort luisante. Cependant cette face trahissait, quand
il tournait la tête, une ressemblance tant fâcheuse qu’inquiétante avec un
oiseau de proie, le nez étant busqué comme bec de faucon. La vêture de ce
Fontenac correspondait à son apparence et il était superbement habillé d’un
pourpoint cramoisi et de chausses de même couleur avec des crevés noirs, cette
attifure non point comme celle de mon Giacomi en velours, mais en satin.
Au botte à
botte avec le Baron, se tenait sur un cheval trapu un quidam qui montrait une
épaule fort large, un poitrail bombé, une taille courte et ramassée et
là-dessus, une trogne tant vile, atroce et sanguinaire que celle de son maître
paraissait noble. Je le reconnus (pour l’avoir entraperçu à Sarlat, où du reste
il se montrait peu, étant partout en fort mauvaise odeur), il passait pour être
le majordome de Fontenac et aussi quelque peu son frère bâtard mais non comme
Samson reconnu, et il se faisait bizarrement appeler le Sieur de Malvézie,
encore qu’il n’y eût aucune terre de ce nom dans le Sarladais : homme,
disait-on, de très basses œuvres et mettant sa grosse patte à toutes les
brenneuses entreprises où le Baron, qui pourtant les suscitait, n’eût pas voulu
hasarder le bout de son gant. Car ce Fontenac était chattemite en diable,
papiste zélé, assidu à messe, caressant l’Évêché, et de lui fort bien vu,
n’étant point chiche en ses rusées largesses.
Quand les
tapages des chevaux furent finis, Fontenac, qui de son côté n’avait point
manqué de m’envisager de la botte à la toque, me dit, l’air grave mais non
point sourcillant :
— Monsieur,
que faites-vous céans, le pistolet au poing et l’épée dégainée, sur un chemin
qui appartient à ma châtellenie ?
À quoi je m’accoisai
un petit, tout béant de l’impudence de ce brigand à soutenir que le chemin des
Beunes était à lui. « Mon frère, souffla Giacomi, cette montagne d’homme
court après un duel, et le curé est là, qu’il le veuille ou non, comme témoin.
Soyez fort mesuré en vos répons. »
— Monsieur
le Baron, dis-je en le saluant, je n’ai pas ouï dire que ce chemin était à
vous.
— Il
l’est, dit Fontenac sans battre un cil, en vertu d’un droit très ancien que
j’ai le propos de relever.
— Monsieur
le Baron, dis-je courtoisement, il y faudra l’accord du Sénéchal de Sarlat et
un jugement du Présidial. Et en attendant que vous l’ayez, faites-moi la grâce
de me
Weitere Kostenlose Bücher