Paris Ma Bonne Ville
votre personne, et de
votre tant bonne et bienveillante bénignité.
Et ce disant,
je lui baisai non point la main, mais le bout des doigts comme m’avait appris M me de Joyeuse qui ne voulait pas que je fusse trop goulu en ces matières, me
disant : « Mon mignon, ne baisez pas la main aux dames comme si vous
vouliez l’avaler. Et quant au feu de vos regards, tâchez aussi de le modérer.
Une honnête dame n’est point une chambrière qu’on peuve en une seule œillade
sur le pré étendre. Laissez-lui, de grâce, le temps de la
décision ! »
Que M me des Tourelles fût satisfaite de mon déportement tout ensemble ardent et
respectueux, je le crois, car elle me fit mille gracieux compliments, et à ses
compliments mêlées tant d’adroites questions, débitées d’un ton si vif, si
prompt, si impérieux et en même temps si câlin et si coquettant, que je ne pus
résister à tant de suave autorité, et en moins de cinq minutes, je lui dis à
peu près tout de moi.
— Monsieur !
dit-elle, me voulez-vous de grâce donner la main jusqu’à mon carrosse, la
planche de mon palefrenier est tant étroite que je craindrais d’en choir sur le
pavé boueux ! Il en faudrait mourir ! Monsieur, votre main, je
vous en supplie !
— Madame,
dis-je, elle est à vous, et mon bras et mon épée !
— Ha !
Monsieur ! dit-elle en riant derrière son éventail, qu’on est galant dans
votre Périgord ! Votre épée ! Je ne vise pas si haut !
— Madame,
dis-je d’un ton plus léger, ne voulant point être en retard sur elle d’une
désinvolture, néanmoins, cela est vrai, disposez de moi, je suis à vous.
— Monsieur
de Siorac, dit-elle en me lançant une œillade qui, si je l’eusse prise au pied
de la lettre, m’eût donné sur elle des droits infinis – mais lecteur,
n’est-ce pas là justement le point ? Il n’est pas en un coup d’œil un
sens, littéral ou non, qu’on ne puisse après coup démentir –, Monsieur de
Siorac, dit-elle, et elle s’accoisa, contrefaisant la confusion.
— Madame,
dis-je, à ses lèvres vermeilles suspendu, dites, je vous ois.
— Monsieur,
monterez-vous avec moi en mon carrosse pour me faire un bout de chemin ?
— Certes,
Madame.
— Monsieur,
dit-elle corrigeant sa remontrance de son œil câlin, on ne dit pas
« certes » à Paris. C’est langage de huguenot. On dit :
« assurément ».
— Assurément,
Madame, dis-je en m’inclinant, je suis à vous jusqu’au bout du chemin, et si
vous le désirez ainsi, jusqu’au bout des mondes connus et inconnus.
— Monsieur,
dit-elle en riant, vous avez bon bec, ce me semble. Et si vous êtes tant
vigoureux que vous êtes divertissant, nous serons pour un temps grands amis.
Mais, montez, de grâce !
Avec quel
émeuvement je me retrouvai aux côtés de cette haute dame, assis, pour autant
que sa volumineuse vertugade me laissait de la place, sur un siège fort
rembourré dans son carrosse bien clos et, à ce que je vis, capitonné lui aussi
de satin vert pâle, Corinne étant face à nous, ainsi que le petit valet.
— Corinne,
dit-elle, dès que le carrosse branla, tire le rideau. Toi aussi, Nicotin.
Monsieur ! dit-elle. Je n’en peux plus ! Il en faudrait
mourir ! Baisez-moi, je vous prie.
Ha !
quelle contorsion, étirement et élongement de mes bras et de mon torse il me
fallut faire pour atteindre, par-dessus l’immense et rigide cotillon, les lèvres
que vers moi on tendait, et qui, à la vérité, me parurent moelleuses et suaves
à damner tous les saints papistes auxquels cette belle croyait. Pour moi,
depuis mon département de Mespech, je n’avais été à pareille repue et, oubliant
l’encombrement de sa vertugade, je m’y mis à la chaude.
— Monsieur,
dit M me des Tourelles en se déprenant, plus doux ! Plus doux,
je vous prie ! Vous y allez comme si vous vouliez me gober !
À quoi
Corinne, qui n’avait perdu goutte ni miette du spectacle que nous donnions dans
l’ombre bleue du carrosse, se prit à rire à ventre déboutonné au point de
lâcher le petit Nicotin que, le moment d’avant, elle chatouillait et lutinait à
mourir, étant une forte femme et le drolissou, si mignon et imberbe qu’on eût
dit une garcelette déguisée. Je ne doutai point, à voir ces jeux qui me
ramentevaient si fort la petite Hélix que la chambrière, et peut-être même la
maîtresse, n’eussent, dans le quotidien, avec ce joli galapian un commerce
d’une infinie
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