Paris vaut bien une messe
Navarre.
J’avais voulu me mêler à la foule des gens de rien, au pied
des échafaudages qu’on avait dressés entre le parvis de Notre-Dame et le palais
de l’évêché, situé sur le flanc sud de la cathédrale. La cérémonie devait se
dérouler là, dans la grand-salle de l’évêché, les invités circulant au-dessus
de la tête du menu peuple sur de larges passerelles qui tremblaient sous leurs
pas.
J’ai vu s’avancer le roi Charles IX et ses frères,
Henri d’Anjou et François d’Alençon, puis Henri de Navarre et Coligny, et,
autour d’eux, dans leurs vêtements noirs à collerette blanche, la troupe des
gentilshommes huguenots.
La foule autour de moi murmurait, criait en tendant le
poing. J’ai reconnu la voix du père Veron, perdu comme moi parmi ces gens du
néant. Il disait de sa voix aiguë, rageuse, tremblante :
— Regardez-les, ces corbeaux hypocrites ! Ils
croient, parce qu’ils sont là, qu’ils ont conquis le royaume, que notre roi
Très Chrétien va devenir huguenot ! Ils ont voulu ce mariage, et le pape,
entendez cela, mes frères, n’a pas accordé sa licence pour ces noces, mais elles
vont se tenir. Alors viendra la terrible vengeance de Dieu !
Le père Veron levait le bras et montrait le ciel embrasé. Un
incendie dévorait l’horizon. Les flammes déjà se rapprochaient des tours de
Notre-Dame. Elles allaient envelopper ces échafaudages, brûler les huguenots,
ceux qui avaient accepté de s’allier à eux et voulu unir cette bonne Margot
catholique à ce huguenot de Henri.
— Dieu se venge ! poursuivit Veron. Ce sera
bientôt la lessive générale des ordures du monde ! Il dressera le grand
bûcher où se consumeront dans les tourments tous les hérétiques et ceux qui
auront péché avec eux !
On a soulevé le père Veron, on l’a porté en triomphe et il
s’est écrié :
— Il est encore temps, mon roi, tout peut être sauvé,
ma reine, si tu écoutes la parole de l’Église qui est celle de Dieu ! si
tu entends la voix de ton peuple !
J’ai levé la tête. Les invités continuaient de défiler sur
la passerelle branlante.
Diego de Sarmiento et ses spadassins étaient restés à
l’hôtel d’Espagne.
— Laissons-les jouer, avait dit Sarmiento. Nous ferons
notre entrée dans le bal après. Et j’ai dans l’idée que Catherine de Médicis
dansera avec nous. Nous prendrons aussi la main du roi pour qu’il nous
accompagne…
Son rire, l’assurance de sa voix m’avaient effrayé.
Je revivais un de ces moments que j’avais connus quand, à
Alger, Dragut-le-Cruel, le Débauché, le Brûlé, me regardait, et où je savais
qu’il pouvait d’un plissement du visage ordonner qu’on m’émascule, qu’on
m’écorche ou qu’on me plonge dans une jarre d’eau bouillante. Sarmiento était
nanti du même pouvoir.
J’avais quitté l’hôtel d’Espagne. La chaleur moite étouffait
la ville. La brume était une haleine fétide qu’on recevait en plein visage.
J’avais un instant hésité à traverser la Seine et à me
faufiler parmi la foule qui avait envahi les ponts. Puis j’avais aperçu la
silhouette du père Veron auquel quelque portefaix ouvrait passage à grands
coups d’épaule.
Je l’avais rejoint. Il avait paru heureux de me voir.
— Il faut être avec le peuple ! m’avait-il lancé.
C’est lui qui se fera justice. C’est lui dont Dieu Se servira pour Se venger.
Si le roi Charles devient huguenot, alors le peuple le chassera. Il ne manque
jamais de culs pour vouloir s’asseoir sur un trône. Nous choisirons celui du
vrai catholique. Pourquoi pas Henri d’Anjou, Henri de Guise ou
Philippe II ?
Nous étions ainsi parvenus jusqu’au pied des échafaudages.
J’avais contemplé le défilé des invités au-dessus de nos
têtes.
Les parures des catholiques de la cour tranchaient sur la
noire austérité des huguenots de l’entourage de Henri et de Coligny.
— Corbeaux, hypocrites ! avait grincé le père
Veron.
Il avait posé la main sur mon épaule.
— Je vais dire la vérité, avait-il ajouté.
Et il s’était mis à haranguer la foule.
Pendant que le père Veron parlait, le ciel était devenu
cramoisi. Les silhouettes des invités se détachaient, comme suspendues au
milieu des nuées rouges et violacées qui s’assombrissaient.
On commençait d’allumer les torches et j’ai reconnu, parmi
les suivantes de Catherine de Médicis, Anne de Buisson, blonde dans une robe
qui m’a
Weitere Kostenlose Bücher