Paris vaut bien une messe
nom de Margot.
— Cette Margot, cette Marguerite de Valois, c’est
l’appât ! Et ils sont tous venus, Henri de Navarre à leur tête, pour y
mordre. Nous allons leur trancher la gorge. Vider le royaume de France de ce
sang qui l’empoisonne !
Il faisait quelques pas et Maurevert, Demouchy, Maraval,
Ruquier, Lachenières le suivaient.
Sarmiento ignorait, expliquait-il, les véritables intentions
de Catherine de Médicis. Voulait-elle seulement arrondir l’héritage de la
famille en poussant sa fille, Margot la coquette, dans les bras d’un roi
huguenot ? Ou bien espérait-elle ainsi obtenir la paix ? Cédait-elle
par là aux pressions de Coligny, à son chantage ?
Sarmiento s’arrêtait. Autour de lui, ses tueurs à gages et
ceux des Guises se penchaient pour mieux l’écouter.
— Qui sait, reprenait-il, peut-être elle aussi
veut-elle les tuer à l’occasion de ce mariage ? C’est une rouée, une
Médicis. Peut-être l’Italienne sera-t-elle notre alliée, et, si elle le
devient, Charles IX suivra-t-il sa mère ?
Sarmiento quittait la cour et pénétrait dans la grand-salle
où l’attendaient Keller, Bianchi, Enguerrand de Mons, le père Verdini et le
père Veron.
Celui-ci s’avançait. Les signes de la volonté divine se
multipliaient, disait-il. Deux enfants mâles étaient nés la nuit dernière, deux
jumeaux, mais liés l’un à l’autre par les parties honteuses. Ce monstre à
double tête était l’incarnation de ce mariage impie que l’on préparait, de
cette paix sacrilège que d’aucuns espéraient.
Le père allait de l’un à l’autre, s’arrêtant devant chacun
de nous.
Savait-on que des maisons tombaient en poussière dans
plusieurs rues de Paris ? continuait-il. Dieu voulait nous avertir. Mais
ce n’était rien encore. On avait repêché dans la Seine des corps d’enfants
fendus par le milieu, d’autres avaient les membres mutilés comme si une bête
inconnue s’était précipitée sur eux pour les dévorer, se repaître de leur
chair. Et il y avait eu dans le ciel des lueurs insolites, des orages
inattendus, suivis de pluies d’insectes.
— Dieu nous montre Sa puissance. Il nous punira si nous
ne Lui obéissons pas. Il faut que nous exercions Sa justice, que nous
nettoyions Paris de cette secte huguenote.
En les écoutant préparer et annoncer le massacre, dresser la
liste de leurs futures victimes, je pensais sans cesse à Anne de Buisson.
Un jour, Sarmiento nous apprit qu’une armée de huguenots
composée de fantassins allemands et de gentilshommes français avait été défaite
par les troupes du duc d’Albe à Mons. Les Espagnols avaient fait prisonniers
plusieurs huguenots et, parmi eux, Robert de Buisson, qui avait avoué avoir
reçu du roi Charles IX une lettre lui souhaitant « bonne
chasse » à l’Espagnol !
— Charles doit savoir que ce Robert de Buisson n’est
plus qu’un corps nu que se disputent les chiens errants.
J’ai frémi de désespoir. Je me suis souvenu de Robert de
Buisson nous accueillant, Michele Spriano et moi, sur son navire, à Alger, puis
nous déposant sur les côtes d’Espagne. Je l’ai revu combattant à mes côtés à
Malte. Chrétien parmi les chrétiens. Les bourreaux espagnols du duc d’Albe
avaient dû le soumettre à la torture, le faire souffrir plus qu’aucun infidèle
ne l’avait fait.
Seigneur, Seigneur, j’ai eu l’impression de vivre un temps
de folie !
J’ai quitté l’hôtel d’Espagne. Je devais avertir Anne de
Buisson, la convaincre de quitter cette ville où le sang allait couler et où
personne ne serait épargné.
Me dirigeant vers la rue de l’Arbre-Sec, longeant les murs
du palais du Louvre, puis empruntant la rue des Poulies, la rue des
Fossés-Saint-Germain, la rue de Béthisy, j’avais l’impression que chaque homme
que je rencontrais était un tueur à gages, tant son regard exprimait la haine.
Devant l’hôtel de Ponthieu, un groupe de gentilshommes
huguenots m’interpellèrent alors que je passais près d’eux. Je n’étais qu’un
papiste, un suppôt de l’Espagne, un corrompu, un vendeur d’indulgences, un
traître au royaume de France.
J’accélérai le pas.
Sur les bords de la Seine, je vis s’avancer une procession
conduite par une nonne. Elle psalmodiait, disant qu’elle parlait au nom de
Dieu, qu’elle était Son envoyée : « Tue les huguenots, criait-elle,
si tu ne veux pas que ta ville soit détruite par la colère
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