Paris vaut bien une messe
modelées à l’image de ceux
qu’elle exècre, et qui, quand le sortilège ne réussit pas, use du poison –
et personne, pas même le monarque, ne peut se dire à l’abri de cette tueuse.
— Si elle veut, elle entrera ici ou elle enverra ses
empoisonneurs. Pour elle je suis déjà morte, mais, si elle sait que je vis,
elle n’aura de cesse que je meure.
Anne de Buisson s’arrête devant Montanari. À nouveau elle le
supplie : elle veut écrire, lutter ainsi contre les maléfices, ces poisons
que Catherine infuse dans les âmes – et on ne sait plus, on ne veut plus,
on n’est plus entre ses mains qu’une poupée qu’elle déchiquette, puis qu’elle
jette quand elle l’a décidé.
Anne hésite, puis, d’une voix étouffée, murmure :
— Isabelle de Thorenc ?
Montanari baisse la tête, recule. Il dit que le secrétaire,
Leonello Terraccini, va lui apporter ce qu’elle demande.
Il s’arrête sur le seuil de la chambre.
— Ils ont trouvé le corps d’Isabelle de Thorenc,
répond-il.
Anne de Buisson écarte les bras.
— Ils veulent aussi le mien, dit-elle.
Le secrétaire est entré peu après et a déposé sur la petite
table, au centre de la pièce, le papier, les plumes taillées, l’encre.
Anne se lève, tourne autour de cet homme jeune aux cheveux
bouclés, aux traits réguliers.
Elle pousse la table vers la fenêtre. Elle doit voir les
massacreurs.
Peut-être même Bernard de Thorenc est-il retourné parmi eux
après l’avoir sauvée ? Mais c’était elle, elle seulement qu’il voulait
arracher aux massacreurs ; les autres, tous les autres, comme ce
nourrisson qu’elle voit traîné par des enfants et dont le corps et la tête
rebondissent sur les pavés de la rue des Poulies, qu’on les tue tous !
Bernard de Thorenc doit les tuer pour se faire pardonner de
l’avoir épargnée, cachée, ou pour éviter qu’on le soupçonne, lui, le frère de
Guillaume de Thorenc, de complicité avec les gens de la secte huguenote, ceux
de la cause.
Elle dispose les feuillets sur la petite table.
Or c’est à cet homme-là qu’elle s’est livrée le jour du
mariage de Henri de Navarre et de Marguerite de Valois.
Et elle s’est laissé prendre sous un escalier, dans le coin
le plus reculé du palais du Louvre, là où, aujourd’hui, on massacre ou on
éventre Isabelle de Thorenc, la propre sœur de Bernard.
Il a sauvé Anne, mais l’a abandonnée ici alors que, dans la
rue des Poulies, les massacreurs lèvent la tête et la recherchent peut-être.
Anne de Buisson s’assied à la petite table et prend une
plume.
— Ne vous montrez pas, lui dit Leonello Terraccini en
s’approchant. Ils vous ont laissée entrer ici, mais j’ai vu le prêtre rôder rue
des Fossés-Saint-Germain. Il y a une centaine de tueurs qui l’écoutent et le
suivent. Il n’a accepté de vous convertir que parce qu’il avait peur. J’ai
entendu ses prêches. Il dit : « Dieu les convertira s’il le veut,
Dieu leur pardonnera s’il le veut, mais nous, nous devons exécuter Sa
sentence. » Le prêtre peut revenir, vouloir vous reprendre. Il agit
peut-être pour le compte de quelqu’un qui souhaite votre mort.
Anne de Buisson se tourne et regarde fixement le secrétaire,
qui répète :
— Ne vous montrez pas, le sang les a rendus fous !
Tout à coup, d’un mouvement brutal, Anne le saisit par le
cou, l’attire vers elle, colle son corps au sien. Elle geint, semble vouloir
s’enfoncer entre les épaules et les jambes de Leonello Terraccini.
Elle le force à se baisser, l’embrasse. Elle ne s’écarte de
lui que lorsqu’elle a cette saveur tiède sur la langue.
Elle voit des perles de sang sur les lèvres de Terraccini
qu’elle a mordues.
Elle noue les bras autour de sa taille, recule jusqu’au lit,
y bascule en l’entraînant.
Elle ferme les yeux cependant qu’il soulève ses jupons,
glisse sa main entre ses cuisses.
Elle se souvient du geste des massacreurs dans la galerie
noire de la maison du n° 7 de la rue de l’Arbre-Sec.
Elle saisit le poignet de Terraccini non pour repousser sa
main, mais pour qu’il l’enfonce en elle.
Elle pense : « Je vis dans l’attente de la
mort. »
17.
Les jours de sang, quand les massacreurs tranchaient le nez
et les oreilles, les lèvres, les sexes, les gorges, enfonçaient des pieux dans
le ventre des femmes, ou bien, avant de les profaner ainsi, les forçaient à
s’accoupler avec des huguenots émasculés,
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