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Paris vaut bien une messe

Paris vaut bien une messe

Titel: Paris vaut bien une messe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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visage. Ceux-là étaient
gens de sac et de corde qui, pour une poignée d’écus, vous crevaient le ventre.
Peut-être même étaient-ce des espions de la reine mère surveillant Bernard de
Thorenc, chargés de rapporter ses propos.
    Montanari lui a chuchoté :
    — Parlez plus bas !
    Bernard de Thorenc a regardé autour de lui, haussé les
épaules, posé la main sur le pommeau de son épée.
    — Qu’on vienne ! a-t-il dit, les dents serrées.
    — Oui, Montanari, a-t-il repris, nous sommes aussi
cruels, aussi barbares que des infidèles. Les hallebardiers, les trabans du duc
de Guise, les garde-corps royaux, les spadassins de Diego de Sarmiento,
d’Enguerrand de Mons ou de Henri d’Anjou sont nos janissaires. Nous avons nos
massacreurs, nos bourreaux. Et qui est le plus débauché, de Dragut-le-Brûlé ou
du roi Très Chrétien ?
    Il s’est interrompu, puis a ajouté d’une voix plus
sourde :
    — Il aime tuer. Il est comme fou. Un chasseur dément.
Il veut du sang. Il a usé plus de cinq mille chiens. Il massacre à l’arquebuse
et à la dague. Ses cerfs, ses sangliers, ce sont les huguenots qui ont réussi à
s’enfuir, qui résistent encore, à La Rochelle, qui se rassemblent autour de mon
frère Guillaume, massacreurs eux aussi.
    Il a eu une moue de dégoût.
    — Lorsque Charles rentre de la chasse, on le parfume,
on l’habille. Il attend la nuit et s’en va, masqué, rôder dans les rues, non
loin de ce quai de l’École, rue Saint-Honoré, rue de l’Arbre-Sec ou rue de la
Monnaye. Il force les portes des gentilshommes ou des membres du parlement. Il
les jette au bas de leur lit, s’y installe, exige qu’on le fouette. Il prend la
femme, fouette à son tour, geint. Il dit qu’il entend des voix criardes,
hurlantes, en tout semblables à celles des nuits de massacre. Il a le corps
couvert de sueur. Il veut qu’on le fouette encore, et raconte que chaque matin,
devant ses fenêtres, des multitudes de corbeaux, de ceux qu’on voit voler
autour des potences et du gibet de Montfaucon, se rassemblent ; leurs cris
sont cris d’hommes et parfois ils viennent frapper de leur bec les croisées.
    Vico Montanari lui a de nouveau serré le bras, puis, pour
l’empêcher de continuer, lui a parlé d’Anne de Buisson, toujours cachée à
l’hôtel de Venise. Elle songeait à quitter Paris, peut-être pour la
Sérénissime.
    Bernard de Thorenc a paru ne pas entendre. Il a poursuivi en
disant que le roi avait de plus en plus souvent du sang dans la bouche, sur les
lèvres, qu’il toussait et hoquetait. De ses débauches de la nuit, il rentrait
pâle, le pourpoint taché de sang, le regard sombre, la tête baissée, criant
tout à coup qu’il voulait qu’on rassemble ses gardes, qu’il savait qu’on
cherchait à le tuer, à l’étrangler, à l’envoûter. D’aucuns pensaient qu’il
redoutait que sa mère ne songeât à l’empoisonner parce qu’elle lui préférait
Henri d’Anjou, qu’elle avait déjà organisé la succession ; et, puisque
Henri d’Anjou venait d’être élu roi par la Diète de Pologne, c’est elle qui,
après la mort de Charles, et en attendant son retour, assurerait la régence.
    — Il a beau crier, a continué Bernard de Thorenc, des
flots de sang l’étouffent, et quiconque le voit sait qu’il va mourir.
     
    C’est encore Bernard de Thorenc, marchant aux côtés de Vico
Montanari sur ce quai de l’École, qui a murmuré que Charles IX était mort,
du sang plein la bouche, ce dimanche 30 mai 1574, jour de la Pentecôte. La
reine mère s’était enveloppée d’une écharpe noire, avait caché son visage sous
une dentelle noire et ses mains dans les plis de sa robe noire.
    — Femme de deuil, a murmuré Thorenc, femme de
mort ! Elle est la messagère de la moissonneuse à la grande faux.
    Catherine de Médicis avait aussitôt fait partir des
courriers pour la Pologne afin que son fils bien-aimé, Henri d’Anjou, vienne
poser son petit cul de femme sur le trône et soit proclamé Henri III, roi
Très Chrétien du royaume de France.
     
    C’est ce même jour, celui de la mort de Charles IX,
qu’Anne de Buisson et Leonello Terraccini ont quitté l’hôtel de Venise, et
Montanari n’a su comment annoncer leur départ à Bernard de Thorenc, se bornant
à lâcher à mi-voix :
    — Elle est partie. Avec lui.
    Montanari a d’abord cru que Bernard de Thorenc n’avait pas
entendu, puisqu’il a continué à parler du roi.
    — Ce sang dans sa

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