Paris vaut bien une messe
d’une huguenote.
Anne de Buisson marchait aux côtés d’une femme dont le rouge
de la robe, brodée de velours noir, attirait le regard. Je reconnus Marguerite
de Valois. La maîtresse et l’épouse du roi de Navarre se tenaient par le bras
et riaient.
Elles me remarquèrent et l’une et l’autre détournèrent la
tête comme si ma présence les importunait.
Elles m’ignorèrent et s’éloignèrent dans une allée bordée d’orangers
qui me rappelaient les jardins d’Alger ou ceux d’Andalousie et d’Italie.
On vint me chercher pour me conduire auprès du roi. Il était
seul, allant et venant dans une petite pièce plus sombre que toutes celles que
j’avais traversées. Des livres étaient posés sur une écritoire. Il s’approcha
de moi. Il sentait vraiment de l’aile et du pied !
Je découvris qu’il était d’une taille bien inférieure à
celle de Henri III et, me souvenant du roi de France, j’eus l’impression
de voir s’avancer un nobliau de campagne habitué aux chevauchées, aux
batailles, au vin rugueux, aux viandes faisandées, aux femmes qu’on renverse
sur une botte de paille, qu’on prend contre un rebord de table comme on avale
une rasade quand on a soif, sans s’arrêter à la qualité du vin ni à la propreté
du verre.
Il m’interrogea :
— Thorenc, comme Guillaume ?
Il se mit à rire.
Il avait le front dégagé, un menton avancé qu’il commençait
de cacher sous une barbe taillée en pointe. Ses lèvres étaient soulignées par
une moustache effilée. L’œil était vif et rieur.
— Et tu n’es pas de notre cause ? Tu es
papiste ? Tu pries tous ces saints, si nombreux que personne, même les
docteurs de la Sorbonne, n’est capable de les nommer ?
Il haussa les épaules.
— Mais nous croyons au Christ, toi et moi, et nous
sommes du royaume de France. Ton frère est avec moi ; toi, tu es avec
Henri ; faut-il pour autant se trancher la gorge ?
Il s’écarta, mais l’odeur affreuse persistait comme si toute
la pièce en était imprégnée.
— Que veux-tu me raconter ? Tu ne viens pas te
perdre ici seulement pour rencontrer ton frère ?
Il rit à nouveau.
— L’as-tu vu ?
Il s’assit derrière l’écritoire.
— Tu découvriras le présent que je lui ai fait… Et ce
têtu qui le refusait ! Il a fallu que je lui demande par trois fois de
l’accepter… Mais il te racontera. Dis-moi ce que tu veux.
J’ai craint que les propositions de Philippe II ne le
mettent en rage et qu’il ne m’empêche même de les lui exposer, s’indignant dès
mes premiers mots.
J’étais bien naïf.
Henri de Navarre m’a écouté en se lissant la barbe et les
moustaches, le regard amusé, puis se frottant les mains comme s’il avait été
heureux qu’on songeât à le payer, comme on fait d’un mercenaire, sans se
soucier de la foi qui était la sienne ni des liens qui l’unissaient depuis
l’enfance au roi Très Chrétien, Henri III, et à ce royaume de France dont
les Bourbons étaient l’une des familles régnantes.
Benêt que j’étais !
Henri a répété lentement :
— Trois cent mille écus, et cent mille chaque
mois ? Le Balafré, si je refuse, acceptera, il n’aura de cesse que de
mettre une laisse à Henri III et de nous faire la guerre. Auprès de qui se
rangera alors François d’Alençon ? Rejoindra-t-il le roi, son frère, ou
bien les Guises, et pourquoi pas moi ? Si j’ai l’argent et les troupes du
roi d’Espagne, je serai bien plus que le roi de Navarre. Or François d’Alençon
va là où est la force…
Il a tout à coup ri aux éclats.
— Mais me convertir une nouvelle fois pour épouser
l’infante d’Espagne ? Là-bas, elles sont laides, sèches, les cuisses
serrées comme les deux moitiés d’une coque de noix ! Et nous avons ici ce
qu’il nous faut en femmes. En veux-tu une pour cette nuit, Bernard de
Thorenc ?
Seigneur, cette cour non plus n’appartient pas à Votre
royaume !
J’en suis venu à penser qu’ici comme au Louvre, comme à
l’Escurial, à Alger ou à Constantinople, les hommes étaient exclusivement
guidés par leurs désirs et leur volonté de gouverner.
Aurais-je dû me retirer du monde dans quelque lieu de
prière ?
Ce soir-là, quittant Henri de Navarre, je me suis bien
tardivement incliné devant la décision de l’empereur Charles Quint fermant
derrière lui toutes les portes afin que, d’une abdication à l’autre, il se
retrouve seul à
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