Paris vaut bien une messe
armes aux bourgeois de Paris.
Le père Veron prêchait que « les sujets ne sont pas
tenus de reconnaître ni de soutenir la domination d’un prince dévoyé de la foi
catholique et relaps ».
On se réunissait au château de Joinville. Sarmiento ou
Rodrigo de Cabezón y parlaient en maîtres. Il fallait créer une Sainte Ligue
perpétuelle qui choisirait un autre héritier à Henri III et n’accepterait
jamais qu’un hérétique accédât au trône de France, celui du roi Très Chrétien.
Et Diego de Sarmiento ajoutait que si, pour l’empêcher, il
fallait d’abord chasser Henri III, eh bien, on l’en chasserait !
Car ce roi à mignons, ce pratiquant de l’amour inverse avait
beau s’agenouiller dans toutes les églises de Paris et conduire les
processions, il n’en était pas moins l’allié des hérétiques, écrivant par
exemple à Henri de Navarre :
« Je vous avise, mon frère, que je n’ai pu empêcher,
quelque résistance que j’aie faite, les mauvais desseins du duc de Guise. Il
est armé. Tenez-vous sur vos gardes et n’attendez rien. Je vous enverrai un
gentilhomme à Montauban qui vous avertira de ma volonté. »
Et c’était l’un de ses mignons, le duc d’Épernon, qui était
parti pour les provinces huguenotes.
— Celui-là, disait Sarmiento, on l’empalera !
Il se tournait vers moi. La peau de son visage s’était
fripée, la barbe était devenue grise, mais le temps n’avait pas terni son
regard.
Penché vers moi, il m’interrogeait : est-ce que je me
souvenais des bourreaux de Dragut-le-Cruel qui plongeaient dans les entrailles
des chrétiens un épieu rougi au feu ?
— Ce qu’ils ont fait, nous le ferons à Navarre et à
quelques autres, concluait-il.
Je ne baissais pas les yeux.
Mort-Dieu, je voulais qu’ils souffrent, ceux qui m’avaient
écorché vif !
Telle fut ma vie de haine et de blasphème, pleine de désir
de vengeance.
J’ai honte aujourd’hui de l’écrire, mais j’ai vécu ainsi.
Je ne priais plus, Seigneur, Vous le savez.
Je me réjouissais que le père Verdini nous lise la bulle
d’excommunication que le pape Sixte Quint avait publiée contre Henri de Navarre
et son cousin Henri de Condé, « génération bâtarde de l’illustre et si
signalée famille des Bourbons ».
Mais ce n’était plus, pour moi, en ce temps-là, le jugement
du descendant de l’apôtre Pierre, et donc une parole sacrée, mais une arme de
plus dans cette guerre qui m’opposait à ceux qui m’avaient blessé.
Finie, la compassion !
Oubliées, l’espérance de paix, et mes indignations de
chrétien face à ces rois, ces princes, ces gentilshommes qui se servaient de la
religion pour satisfaire leurs démons !
J’étais devenu l’un d’eux.
J’assistais aux messes. Je communiais. Je vouais les hérétiques
à la damnation. Je portais la bannière d’un bon catholique. Je respectais le
rituel. J’accomplissais les gestes du croyant. Je remuais les lèvres pour faire
croire que je priais.
Mais je Vous avais chassé de mon cœur, Seigneur !
J’étais devenu un homme de guerre.
24.
La guerre, c’est la mort.
Je voulais l’infliger à mes ennemis et je sais aujourd’hui
que je souhaitais aussi la recevoir.
Je la conviais chaque jour à ma table.
Je proposais à Diego de Sarmiento de partir pour l’une de
ces villes huguenotes – Agen, Mont-de-Marsan, Montauban, Cahors ou La
Rochelle – où nos espions signalaient la présence du roi de Navarre.
Je saurais m’approcher de lui, le flatter, lui parler de
femmes, rire avec lui, peut-être partager l’une de ses nuits de débauche, et
l’égorger, le matin venu, comme le porc puant qu’il était.
Diego de Sarmiento me regardait et m’écoutait avec
étonnement.
Je sentais qu’il se défiait de moi.
— Cette affaire-là n’est pas besogne de gentilhomme,
mais d’assassin gagé ou de moine inspiré. Tu n’es pas Maurevert. On ne te paie
pas pour tuer, et la guerre n’est pas un duel privé.
Au demeurant, on apprenait que Henri de Navarre se tenait
sur ses gardes, entouré de gentilshommes sûrs comme Séguret, Jean-Baptiste
Colliard et mon frère, qui les commandait.
Guillaume ne me laisserait pas approcher de Henri. Lui-même
lui conseillait la vertu, lui demandant de renoncer « aux amours si
découvertes, auxquels vous donnez tant de temps et qui ne semblent plus de
saison. Il faut, Sire, que vous fassiez l’amour à toute la chrétienté,
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