Paris vaut bien une messe
appelait la « Petite
Fosseuse », qu’il avait prise et que la reine Margot avait enseignée pour
qu’elle fût la bonne et experte amante que Henri souhaitait.
— Damné, murmurait le père Verdini, il faut qu’il le
soit ! Brûlé comme hérétique et comme dépravé !
Je songeais à Dragut-le-Débauché, à Mathilde de Mons. Je
pensais à Anne de Buisson.
L’un de ces espions rapportait que Henri de Navarre s’était
un jour écrié : « Si je n’étais huguenot, je me ferais
turc ! » Le bel aveu !
On disait aussi que, dans le château de Nérac, la reine
Margot recevait ses amants au vu et au su du roi.
— Une putain ! décréta Sarmiento.
Mais d’autres espions ajoutaient qu’elle avait créé une
académie et qu’elle y recevait des lettrés venus de Bordeaux, tel ce Michel de
Montaigne qui discourait avec elle de religion, de philosophie et, disait-on,
de pensées athéistes.
— Sorcière, sacrilège et païenne ! renchérit le
père Verdini.
Des gentilshommes gascons et des pasteurs de la religion
partageaient ce sentiment. L’un d’eux s’était confié, disant que cette reine
avait « amené les vices, comme la chaleur les serpents ». Elle
voulait, prétendait-elle, dérouiller les esprits, mais elle avait fait rouiller
les armes ! Elle avait semé le trouble parmi tous les gentilshommes
huguenots qu’elle accrochait d’un regard, qui savaient qu’elle recherchait le
plaisir et ne le cachait pas, ayant même convaincu Henri de Navarre que c’était
vertu de ne rien faire en secret, que le vice était non dans la chose, mais
dans sa dissimulation, que l’époux devait caresser les serviteurs de sa femme, et
celle-ci caresser les maîtresses du roi, son mari.
— Et elle assiste à la messe chaque matin dans la
chapelle située dans le jardin du château de Nérac.
Sarmiento s’esclaffa :
— Les putains souvent sont bonnes catholiques.
Il me lança un coup d’œil, puis interrogea l’espion :
— Et la huguenote, cette Anne de Buisson ?
— Comme les autres, répondit l’espion.
Mais, d’un geste, Sarmiento l’arrêta.
— Pour elle on ne veut pas savoir, dit-il, tourné vers
moi.
Il n’est pire souffrance que d’imaginer. Je voyais Henri de
Navarre faire irruption dans la chambre d’Anne de Buisson. Il n’avait pas
besoin d’en forcer la porte. Anne s’avançait vers lui, embrassait ce corps aux
affreux relents de sueur, puant de l’aile et du pied. Et j’imaginais qu’elle ne
se lavait pas après le départ de Henri de Navarre pour garder sur elle cette
odeur de roi.
C’est Diego de Sarmiento qui m’a obligé à voir ce qu’il en
était vraiment d’Anne de Buisson.
Un soir, à l’hôtel d’Espagne, j’ai vu entrer dans la
grand-salle l’ambassadeur Rodrigo de Cabezón, accompagné d’un Maure portant
turban. Il se tenait quelques pas en retrait, comme un serviteur.
Aussitôt, Sarmiento avait, d’un signe, invité tous les
gentilshommes présents à quitter la pièce.
J’avais voulu sortir moi aussi, mais il me retint, me
demandant de fermer les portes, et quand je l’eus fait, que je me retournai, je
le vis qui s’inclinait devant le serviteur maure.
Celui-ci venait d’ôter son turban, et, peu à peu, malgré la
teinture noire de son visage, je reconnus don Juan d’Autriche qui me souriait,
nous expliquant comment il avait traversé toute la France sous ce déguisement,
en route pour les Pays-Bas, où, sur ordre de Philippe II, il devait
prendre la tête des troupes espagnoles.
— J’ai vu les provinces huguenotes, les villes
fortifiées. J’ai côtoyé l’armée de Henri de Navarre.
Il s’est assis et nous l’avons entouré.
Il repartait le lendemain matin sous ce déguisement mais
avait reçu mission de transmettre à Diego de Sarmiento les volontés de
Philippe II.
Il a posé les mains sur ses genoux, s’est penché vers
nous :
— Ce roi de Navarre, cet hérétique, il nous le faut
comme allié ! a-t-il commencé.
21.
J’ai écouté don Juan d’Autriche le front baissé. Je
craignais qu’il ne lût sur mon visage mon désespoir, mon mépris, ma honte.
Mais il ne me prêtait pas attention.
Il déclara que Philippe II était prêt à verser trois
cent mille écus, puis cent mille autres chaque mois, si Henri de Navarre
entrait en guerre avec ses troupes huguenotes contre Henri III, le Très
Chrétien roi de France. L’infanterie espagnole, franchissant les
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