Paris vaut bien une messe
seul avec Vous, Seigneur !
J’ai quitté le château de Nérac à la nuit tombée, sûr que
Henri de Navarre refuserait les propositions de Philippe II, non par
fidélité à sa foi ou sens de l’honneur, mais par calcul.
Cet homme-là était un habile qui ne voulait pas compromettre
son avenir en devenant le mercenaire d’un prince étranger. Et peut-être sa
prudence serait-elle moins préjudiciable aux sujets du royaume de France que la
témérité d’un Henri de Guise qui, j’en étais convaincu, accepterait pour sa
part l’alliance espagnole en prétendant vouloir ainsi défendre les catholiques
contre les huguenots.
Un prince cynique valait peut-être mieux qu’un prince
hypocrite, même si aucun des deux n’était vertueux.
Mais la vertu, Seigneur, était-elle encore de ce
monde ?
J’étais ainsi dans mes pensées, cherchant l’auberge où je
devais passer la nuit, quand des hommes m’ont entouré, l’épée à la main.
J’ai reconnu Séguret, Jean-Baptiste Colliard, d’autres
spadassins huguenots que j’avais vus à Paris devant la maison du n° 7 de
la rue de l’Arbre-Sec ou devant l’hôtel de Ponthieu.
Il ne me servait à rien de tirer mon épée hors du fourreau.
— Tu vas rendre gorge pour notre amiral et nos
compagnons que vous avez massacrés, a rugi Séguret.
Il a levé son arme, en appuyant la pointe contre ma
poitrine.
J’ai pensé à Anne de Buisson.
Et tout à coup elle a été là avec des serviteurs qui
portaient des torches.
Elle s’est avancée, se plaçant devant moi, disant qu’elle me
devait la vie et qu’il faudrait la lui prendre avant que de me tuer. Les
spadassins ont rengainé leurs armes et je me suis retrouvé en face d’elle, dans
la lueur mouvante des torches. Anne me fixait, le visage altier, la bouche
boudeuse, avec un air d’arrogant défi.
— Partez ! a-t-elle dit. Sinon, ils vous tueront,
quoi qu’en pensent Henri de Navarre et mon époux.
Elle a haussé la voix en sorte que je ne perde aucun des
mots qu’elle prononçait.
— Ils veulent venger le sang des nôtres avec le vôtre.
Peut-être allais-je arguer que je n’avais pas participé au
massacre ? Elle m’a devancé.
— Vous m’avez sauvée plusieurs fois, en Espagne, rue de
l’Arbre-Sec, je ne l’ai pas oublié. Mais tant d’autres ont été tués par les
gens de votre camp !
— Je ne veux être que du camp de Dieu.
— Sur terre, il n’y a que des hommes, a-t-elle répondu.
Ce ne sont pas les hommes qui choisissent Dieu, mais Dieu qui les choisit.
La pluie s’est mise à tomber, drue et froide. Les flammes
des torches ont vacillé.
— Votre époux ? ai-je murmuré.
Ses tresses, sous l’averse, s’étaient dénouées et ses
longues mèches couvraient ses épaules. Sa robe collait à son corps, en
dessinant les formes, et je fus saisi par le désir de la serrer contre moi,
comme autrefois, sous cet escalier du palais du Louvre, le jour du mariage
entre ce Henri de Navarre, le Puant, et Marguerite de Valois dont elle, Anne,
paraissait l’amie.
Elle a ri.
— C’est un présent du roi de Navarre, a-t-elle dit.
Le porc l’avait mariée à un gentilhomme complaisant, ai-je
d’abord pensé. Puis, tout à coup, j’ai porté la main à mon épée en me souvenant
de ce que Henri de Navarre avait dit du présent qu’il avait offert à mon frère
Guillaume.
Il avait donc fait cela, et Guillaume avait accepté de
prendre Anne de Buisson pour épouse afin de complaire à son souverain !
Tuer, tuer !
Oui, Seigneur, j’ai été emporté par la rage.
J’ai saisi Anne par les épaules et l’ai secouée en hurlant.
Les serviteurs se sont précipités, me repoussant avec les
flammes de leurs torches.
— Je suis maintenant de votre famille, a-t-elle lancé
en s’éloignant.
Tuer, tuer !
Ce prince et ce frère cyniques qui pouvaient enfermer dans
leurs bras le corps d’Anne de Buisson, que je voyais disparaître dans cette
nuit rayée par la pluie.
23.
— Qu’ils crèvent tous !
J’ai crié ces mots en quittant Nérac sous un déluge qui me
glaçait les os.
Mort-Dieu !
J’ai blasphémé en éperonnant mon cheval jusqu’à ce qu’il
tombe, jambes brisées, après avoir heurté un arbre que le vent avait déraciné
et qui barrait le chemin.
Il a tenté de se redresser, sa croupe agitée de soubresauts.
Je me souviens que j’ai caressé son encolure, ému aux
larmes, prêt à m’agenouiller, à Vous implorer,
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