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Paris vaut bien une messe

Paris vaut bien une messe

Titel: Paris vaut bien une messe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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pour s’élancer
et nous tailler en pièces.
    Mais n’était-ce pas ce que je désirais ?
    J’ai chargé aux côtés des frères Joyeuse et des
gentilshommes qui brandissaient leurs lances à pennons comme pour une parade.
Quelques huguenots sont venus vers nous, puis se sont dérobés pour nous attirer
plus avant dans le piège.
    J’ai éperonné, frappé, j’ai tué, aveuglé par le sang qui
jaillissait, puis il n’y a plus eu d’ennemis, hormis ces quelques corps
étendus.
    Et, brusquement, un psaume chanté autour de nous a roulé
depuis la butte, est monté des chemins creux :
     
    La voici
l’heureuse journée
    Que Dieu a
faite à plein désir
    Par nous soit
joie démenée
    Et prenons en
elle plaisir !
     
    Et le duc de Joyeuse et son frère Claude de Saint-Sauveur de
rire, de clamer, debout sur leurs étriers, que l’armée huguenote demandait déjà
grâce, qu’il suffisait d’aller les chercher pour qu’ils se rendissent.
    Les chevaux de nos gentilshommes et de nos mercenaires
albanais piaffaient d’impatience.
    Tout à coup, ce fut la canonnade, l’arquebuse, la charge des
cavaliers huguenots.
    Nous étions dans la nasse, nous heurtant les uns aux autres,
tués par la mitraille des arquebusiers, percés par les balles des pistolets des
cavaliers. Ceux-là ne portaient aucune lance, mais de leurs mains jaillissaient
le fer et le plomb.
     
    J’ai vu tomber le duc de Joyeuse, ses dentelles et ses
plumes rougies par le sang.
    J’ai vu son frère Claude de Saint-Sauveur désarçonné par une
arquebusade, et son corps, resté lié au cheval par un étrier, traîné sur le
champ de bataille déjà couvert de morts enrubannés.
    Il m’a semblé reconnaître, à la tête des cavaliers huguenots
qui chargeaient, Jean-Baptiste Colliard et Séguret. Henri de Navarre et mon
frère Guillaume ne devaient pas être loin de ces deux-là.
    J’ai tiré sur les rênes, forcé, en lui labourant les flancs,
mon cheval à bondir, et je me suis élancé contre mes ennemis.
    Que leur sang coule, qu’il soit royal ou fraternel !
    J’ai frappé. Mon épée rencontrait la molle résistance des
corps. Et j’ahanais chaque fois que je la retirais, comme un laboureur qui
vient de donner son coup de bêche.
    Je ne voyais plus rien, du sang plein le visage, le mien ou
celui d’autres, dont je reconnaissais la douceur tiède.
    Tout à coup j’ai eu l’impression qu’on me tranchait le corps
au ras des épaules.
    J’ai senti que je tombais, que mon visage heurtait le sol
puis s’enfonçait dans la terre.
    Je me suis souvenu de la petite fosse que j’avais creusée au
pied d’un chêne de la forêt du Castellaras de la Tour et dans laquelle j’avais
enfoui la tête du christ aux yeux clos.
     
    J’ai rouvert les yeux et j’ai discerné les poutres noircies
d’un plafond enfumé. J’ai voulu tourner la tête à droite, puis à gauche, et
j’ai hurlé tant la douleur était vive.
    Je me suis mordu les lèvres pour étouffer ce cri.
    J’ai entendu un brouhaha de voix, le bruit des écuelles et
des verres qu’on heurte.
    J’ai reconnu l’odeur de la viande qu’on rôtit.
    J’ai réussi à me redresser en m’appuyant sur les coudes.
J’ai découvert, attablés, les huguenots en cuirasse grise et collet de buffle,
et, sur des bancs, nus, les corps morts du duc de Joyeuse et de son frère.
    J’étais aussi allongé sur un banc, blessé.
    Contre les murs étaient appuyées les lances à pennons des
gentilshommes de Joyeuse. Dans le fond de la salle de cette auberge, sur une
table entourée de cierges, j’ai deviné le corps de mon frère Guillaume, mains
jointes sur la poitrine. Près de lui, tête baissée, bras croisés, se tenait
Henri de Navarre qu’entouraient Jean-Baptiste Colliard et Séguret.
    Je ne les avais pas tués. Peut-être le seul que j’avais
occis était-il mon propre frère.
    J’ai fermé les yeux et la prière est revenue en moi au bout
de tant de semaines, Seigneur. Et j’ai imploré Votre pardon.
     
    J’étais Caïn.
    J’ai sangloté.
    J’ai reconnu près de moi la voix de Henri de Navarre.
    — Je perds Guillaume de Thorenc, disait-il. Je ne veux
pas que l’arbre des Thorenc soit déraciné. Je veux que tu vives, Bernard de Thorenc,
même si tu m’as fait grand mal.
    Je l’ai regardé. Il a secoué la tête.
    — Ce n’est pas toi, a-t-il dit.
    Puis son visage s’est crispé, les mâchoires serrées, le
front partagé par des rides.
    — Pas toi seulement. Il

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