Paris vaut bien une messe
s’enfuyaient, marchant vers le sud, après
avoir traversé le Poitou, cherchant à regagner leurs provinces de Guyenne et de
Gascogne. Mais peut-être allaient-ils changer de direction, se porter à la
rencontre de ces vingt mille reîtres et arquebusiers, lansquenets allemands et
hallebardiers suisses qui avaient pénétré en Lorraine afin de leur porter
secours.
— Il faut les tuer avant, avait décrété Diego de Sarmiento.
Et le duc de Guise, mais aussi le roi Henri III, bien
contraints d’obéir à la Sainte Ligue, avaient donné l’ordre de rassembler près
de cinq mille fantassins et plus de mille cinq cents cavaliers afin de
débusquer le malodorant roi de Navarre qui en appelait aux mercenaires
étrangers pour satisfaire son ambition et faire triompher sa foi hérétique.
Depuis longtemps je n’écoutais plus les prêches du père
Veron. Peu m’importait désormais le sort du royaume de France ! Je savais
seulement que Henri de Navarre et Guillaume de Thorenc, mes deux ennemis,
marchaient à la tête de leurs troupes et j’avais donc rejoint l’armée des
Guises et du roi Henri que commandait le duc de Joyeuse, l’un de ces mignons
dont l’accoutrement et les manières, les parfums et les bijoux me soulevaient
le cœur.
Je n’en avais pas moins chevauché à ses côtés, forçant le
train, inquiet de ne voir autour de moi que des gentilshommes vêtus comme pour
un bal, avec leurs grands chapeaux à plumes, leurs pourpoints de soie, de satin
et de velours, leurs armes de parade toutes damasquinées.
Beaucoup d’entre eux brandissaient une longue lance au bout
de laquelle flottaient leurs pennons multicolores. Et ils devisaient gaiement
comme s’ils participaient à une cavalcade, par un jour de fête, rue
Saint-Antoine.
On était pourtant loin des estrades.
La pluie, en ce mois d’octobre 1587, noyait la campagne.
Quand elle cessait, le brouillard s’accrochait aux haies.
Dans cette grisaille, derrière les buissons, les buttes
sableuses, au confluent de ces rivières, dans ces chemins creux, je craignais
que Henri de Navarre et ses spadassins, gens de guerre comme Jean-Baptiste
Colliard, Séguret ou mon frère Guillaume, ne dissimulent leurs arquebusiers,
leurs canons et leurs cavaliers.
Ceux-là ne portaient pas d’oriflammes de couleur à la pointe
de leurs lances. Ils serraient la crosse de leur pistolet.
Aucune enjolivure n’ornait les armes des arquebusiers, mais
ils savaient en faire bon usage, vieux briscards et non danseurs invités des
fêtes royales.
J’ai dit plusieurs fois au duc de Joyeuse et à son frère
Claude de Saint-Sauveur qu’il fallait prendre garde aux huguenots, que Henri de
Navarre avait à ses côtés ses cousins Condé et Soissons, que c’étaient là de
vrais chefs de guerre et que, quittant La Rochelle, il leur avait lancé, ainsi
que les espions l’avaient rapporté : « Souvenez-vous que vous êtes du
sang des Bourbons ! Et vive Dieu ! Je vous ferai voir que je suis
votre aîné ! »
Et Condé avait répondu, de la même voix forte :
« Nous nous montrerons bons cadets ! »
L’on disait qu’avant de quitter La Rochelle Henri de Navarre
s’était agenouillé devant ses soldats, faisant repentance, jurant qu’il allait,
par sa bravoure, obtenir le pardon de Dieu pour ses fautes, y compris la
dernière, quand il avait forcé cette fille d’officier de son armée de La
Rochelle.
Lorsqu’on avait rapporté ces propos au duc de Joyeuse, il
avait ri comme font les femmes, la tête rejetée en arrière, disant qu’on allait
venger l’honneur de la petite huguenote maltraitée par ce soudard de Henri de
Navarre.
Et l’assurance de vaincre le roi huguenot et son armée
d’hérétiques s’était répandue comme un poison.
En regardant ces gentilshommes accoutrés comme pour une
cavalcade, j’avais éprouvé un sombre sentiment de jouissance.
Nous allions tuer – et mourir.
Le 20 octobre 1587, après avoir traversé le village de
Coutras, nous nous sommes engagés dans une petite plaine, large de sept cents
pas, dessinée comme pour un tournoi.
Mais j’avais vu, sur la butte sableuse qui la dominait, les
canons huguenots, et, malgré la pluie qui voilait l’horizon, j’ai aperçu dans
les chemins creux les cuirasses grises des fantassins du roi Henri. J’ai pensé
que sa cavalerie devait attendre que nous fussions entrés dans cette lice et
que les arquebusiers nous eussent tirés comme gibiers rabattus
Weitere Kostenlose Bücher