Paris vaut bien une messe
compris.
Elle a posé sa main sur la mienne, accompagnant le brancard jusqu’à la litière.
J’ai essayé encore de lui dire : « Nous restons seuls. » Je me
suis soulevé. Qui pouvait imaginer la douleur que je ressentais ? J’aurais
voulu qu’elle entendît au moins ce mot : « Venez. »
Je suis retombé.
Les porteurs ont déposé le brancard dans la litière, baissé
les rideaux de cuir, et, au premier tour de roues, j’ai su que si je voulais
tenter d’étouffer ces cris de douleur qui envahissaient ma poitrine il fallait
que je prie.
J’ai continué de m’adresser à Vous, Seigneur, durant tous
ces jours de voyage – je voyais que leur lumière se faisait plus vive,
tout comme les nuits devenaient plus courtes –, puis durant toutes ces
heures passées allongé devant la cheminée du Castellaras de la Tour.
Ma plaie peu à peu se cicatrisait, et dans le même temps se
refermait l’abîme dans lequel je m’étais naguère précipité.
Un jour je me suis levé et, appuyé au bras de Denis, notre
serviteur, j’ai recommencé à marcher, m’arrêtant devant les niches vides de
notre chapelle. J’ai donné des ordres pour que l’on fasse sculpter des statues
de la Sainte Vierge et des Apôtres, pour que l’on guérisse ainsi ces plaies que
les huguenots avaient ouvertes en détruisant les figures de notre foi.
J’ai pu m’agenouiller et revivre les heures de mon enfance,
mais aussi les dernières vécues aux côtés de Michele Spriano, quand nous avions
chargé les spadassins de Jean-Baptiste Colliard et qu’un coup d’arquebuse avait
ôté la vie à Michele.
Plus tard, j’ai pu me rendre dans la clairière où je l’avais
enseveli dans son manteau, plaçant près de lui, au pied d’un chêne, la tête du
christ aux yeux clos.
J’avais fait le serment de bâtir un tombeau pour Michele
Spriano, dans notre chapelle, et de placer sur l’autel l’étendard de damas
rouge qui avait flotté à la poupe de la Marchesa, notre galère
victorieuse. J’ai tenu parole.
Son corps n’était plus qu’ossements, et son manteau
poussière.
Seules ses armes avaient résisté au temps.
Je suis rentré au Castellaras de la Tour, portant ce corps
devenu si léger et cette tête de christ aux yeux clos que j’avais caressée pour
la dépouiller de la gangue de terre qui l’enveloppait.
Je me suis remémoré ma rage, ma haine, ma volonté de tuer
ceux de la secte huguenote, ces suppôts de Satan, ces mercenaires de Lucifer.
Mais ces sentiments-là aussi étaient devenus poussière, et je les ai ensevelis
avec Michele Spriano, dans son tombeau, à droite de l’autel de notre chapelle.
Puis j’ai placé sur l’étendard rouge la tête de Christ aux yeux clos, à côté du
tabernacle.
Après, j’ai commencé à attendre.
J’ai guetté, chaque jour, ne quittant pas des yeux la route
qui longe la vallée de la Siagne.
J’ai prié pour que Vous lui rappeliez qu’elle était de notre
famille.
Elle avait choisi, quelles qu’en fussent les raisons, d’en
porter le nom.
Parfois, le désespoir m’étranglait : elle avait été
l’épouse d’Abel et jamais elle n’accepterait de vivre avec celui qui avait été
le complice de Caïn.
Puis je reprenais confiance. Elle viendrait, puisqu’elle
m’avait souri dans cette hostellerie du Cheval-Blanc, à Coutras.
Je me persuadais, Seigneur, que Vous nous aviez imposé ces
détours pour donner plus d’éclat à nos retrouvailles.
Il fallait qu’elles aient lieu pour que naquît d’elles un
enfant qui continuerait notre famille, qui unirait dans sa vie les parties trop
longtemps ennemies de notre foi en Jésus-Christ.
Je devais Vous prier de m’entendre.
Un jour, alors que le soleil était voilé et qu’une journée
grise n’annonçait aucune joie, une voiture a franchi le pont et s’est arrêtée
devant le Castellaras de la Tour. Anne de Buisson en est descendue.
QUATRIÈME PARTIE
27.
Dans la grand-salle du Castellaras de la Tour, Michel de
Polin ne vit d’abord que le berceau.
On eût dit une petite nef à la carène faite de nervures de
bois poli, surmontée de rideaux de dentelle qui ressemblaient à des voiles.
Michel de Polin fit encore quelques pas, puis s’arrêta.
La pièce était plongée dans la pénombre.
Il entendit des chuchotements, chercha en vain à distinguer
ceux qui parlaient. Puis, tout à coup, une lueur éclaira la salle. Les troncs
posés l’un sur l’autre dans
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