Paris vaut bien une messe
l’ample cheminée où plusieurs hommes eussent pu
tenir debout venaient de se briser et des braises rouges avaient jailli des
flammes bleutées.
Michel de Polin distingua alors une femme agenouillée
derrière le berceau qui, jusqu’à cet instant, l’avait dissimulée. Deux
servantes se tenaient auprès d’elle.
Il s’avança.
— Je suis Michel de Polin, dit-il à mi-voix, craignant
de réveiller l’enfant.
Il expliqua qu’il était du parlement de Paris. Il avait
connu le comte Bernard de Thorenc à l’hôtel de Venise, chez l’ambassadeur de la
Sérénissime République, Vico Montanari…
Il s’interrompit.
La femme s’était redressée et avait fait un signe aux
servantes. Elles soulevèrent le berceau et à petits pas l’emportèrent en le
tenant comme un brancard.
Elles disparurent dans l’obscurité où demeurait plongée une
partie de la pièce.
Polin se remit à parler d’une voix plus forte.
Il rentrait de Rome, dit-il. Il avait été reçu par le
souverain pontife. Et Vico Montanari lui avait conseillé de s’arrêter, à
l’aller ou au retour, chez Bernard de Thorenc. Montanari et beaucoup d’autres,
dans l’entourage du roi, s’étonnaient, par ces temps troublés, de son absence.
On savait qu’il avait été blessé à Coutras où tant de gentilshommes – près
de quatre cents – avaient été tués aux côtés du duc de Joyeuse et de
Claude de Saint-Sauveur. On s’inquiétait à la cour.
— Que voulez-vous ? fit la jeune femme en
s’approchant.
Elle était entrée dans la lumière des flammes. Ses cheveux
dénoués tombaient sur ses épaules et semblaient des fils d’or rehaussant le
bleu de sa robe. Elle avait croisé les bras.
Polin s’était tu. Cette femme campée, le menton levé, les
yeux immobiles, était comme une statue menaçante, la gardienne des lieux.
— Mon époux chasse le sanglier, a-t-elle ajouté.
Puis, son regard cherchant les yeux de Polin, elle a
répété :
— Que voulez-vous ?
Michel de Polin a eu un geste vague de la main, et, comme
pour échapper à ce regard, il s’est mis à marcher de long en large, s’arrêtant
devant la cheminée, fixant les flammes. Puis il s’est retourné et a dévisagé la
jeune femme.
C’était donc elle, cette Anne de Buisson dont Vico Montanari
lui avait naguère dit qu’elle était l’une de ces huguenotes aux mœurs plus
débauchées que la plus dévergondée des catholiques. Elle avait été l’amie de la
reine Margot, partageant avec elle la couche de Henri de Navarre.
« Huguenots ou catholiques, ces femmes-là préfèrent ouvrir les jambes
plutôt qu’un missel ou une bible ! Toutes des ribaudes ! » avait
alors conclu Montanari.
Et pourtant, cette femme immobile à quelques pas de Polin ne
ressemblait en rien à ce portrait.
Fière et austère, on la devinait résolue et intransigeante.
Michel de Polin s’est approché.
— Bernard de Thorenc…
— Mon époux, l’a-t-elle interrompu. Notre fils Jean est
né il y a onze jours. Nous l’avons baptisé dans la chapelle du Castellaras.
Dans la religion catholique. Dites-le à ces messieurs de la cour qui
s’inquiètent. Mais un ministre de la cause a assisté le prêtre. Je l’ai voulu
ainsi. Je suis huguenote et convertie de force pour sauver ma vie et quelques
autres, mais convertie. Ici nous ne fermons la porte à aucun de ceux qui
croient au Christ et qui sont du royaume de France.
Elle est allée jusqu’à la cheminée, a empoigné le tisonnier,
remué les braises, puis est revenue vers Michel de Polin, tenant la tige de fer
recourbée et rougie comme une arme.
— Que voulez-vous ? a-t-elle répété d’une voix
plus forte.
Michel de Polin a reculé d’un pas.
— La réunion des croyants dans la paix, a-t-il murmuré.
Il y a de cela près de trente ans déjà.
Il a rappelé en haussant le ton la phrase de ce chancelier
du roi, Michel de L’Hospital, qui avait eu le courage et l’audace de dire qu’il
fallait ôter « ces mots diaboliques, ces noms de partis, factions et
séditions, luthériens, huguenots, papistes : ne changeons plus le nom de
chrétiens ».
— Nous sommes tous sujets du roi de France, a-t-il
ajouté.
Anne de Buisson s’est à nouveau dirigée vers la cheminée et,
accroupie, de la pointe du tisonnier elle a brisé les morceaux d’un tronc
d’arbre, faisant s’envoler des nuées d’étincelles.
— Vous voulez cela vraiment ? a-t-elle demandé.
Puis elle
Weitere Kostenlose Bücher