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Paris vaut bien une messe

Paris vaut bien une messe

Titel: Paris vaut bien une messe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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le nourrir
et de le protéger.
    Jamais je n’aurais imaginé qu’il y eût tant d’enfants dans
cette ville. J’en ai vu plus de cinq mille, les plus âgés d’à peine sept ans,
défiler en procession, chantant des psaumes, appelant l’assistance divine sur
la ville de Chartres dont on venait d’apprendre qu’elle était assiégée par les
troupes royales alors que c’était l’un des principaux greniers de Paris.
    J’ai suivi la procession des enfants jusqu’à Notre-Dame. C’était
carême et les prédicateurs, devant les enfants assemblés, parlaient d’un fils
de putain qui se prétendait roi de France et qui n’était qu’un chien, un tyran,
un athée, un dépravé qui se livrait à des amours immondes avec les nonnains
qu’il violait !
    « Maudit soit Henri le Béarnais, l’athéiste, le relaps
et l’hérétique ! » clamaient-ils.
    Leurs voix résonnaient sous les voûtes de Notre-Dame et je
sortis, me frayant difficilement passage parmi la foule.
    Sur le parvis gisait un enfant mort, si maigre et menu que
les gens entassés dans le chœur l’avaient étouffé.
     
    Ô Seigneur, protégez mon fils !
     
    Je suis allé jusqu’à l’hôtel d’Espagne. Deux grandes
marmites fumaient dans la rue Saint-Honoré et la foule des affamés se pressait,
écuelle brandie, yeux brillants de fièvre, quand tout à coup une voix aiguë
s’éleva, maudissant le fils de pute, l’hérétique qui voulait la mort du peuple
de Paris. « Mais Dieu nous sauvera ! »
    Sarmiento m’accueillit, la tête penchée, le regard fixe.
    — Dieu les sauvera lorsque les armées espagnoles auront
défait celles du roi.
    Il me tourna le dos, ajoutant avec mépris qu’il était encore
temps pour moi de rejoindre le camp vainqueur.
    Puis il m’a brusquement fait face.
    — Tu as un fils, me dit-on ?
    J’ai reculé comme si sa question constituait une menace.
    — Quitte Paris, Bernard de Thorenc, a-t-il repris. On y
meurt, et les fils ont besoin de père.
     
    J’ai rencontré quelques marchands, des membres du parlement.
    Ils me recevaient à la nuit tombée, j’entrais dans leur
maison par des portes dérobées, me glissant dans des caves, marchant courbé
dans des jardins, à l’abri des haies, tant ils craignaient les espions de ce
Conseil des Seize qui dirigeait la Ligue et avait partout ses espions. L’on
était puni de mort, étranglé ou pendu si l’on venait à être soupçonné
d’entretenir des relations ou une correspondance avec Henri IV, le roi
hérétique.
    Ils m’ont parlé dans des pièces sombres, toutes chandelles
éteintes.
    Leurs demeures sentaient les fruits qui mûrissent, le pain
qu’on cuit, la graisse qui grésille. Et, cependant, ils se plaignaient de ne
pouvoir, à cause du blocus et de la guerre, se rendre dans leurs propriétés,
hors des remparts, et de perdre ainsi leurs revenus.
    Ils souhaitaient que la paix fût rétablie, mais elle ne le
serait que si Henri IV abjurait.
    — Le peuple écoute les catholiques zélés, les prêtres
fanatiques qui n’obéissent qu’au pape ou aux Espagnols. Diego de Sarmiento
distribue soupe et argent, si bien que les affamés applaudissent le roi
d’Espagne.
    Eux-mêmes méprisaient ce peuple de ligueurs.
    — Les ventres-creux ont besoin de se gaver de paroles,
me confia l’un d’eux. Ils se nourrissent de folies. Les prêcheurs le savent.
Sarmiento et le père Verdini aussi. Or nous ne voulons pas que le roi d’Espagne
et le pape fassent ici la loi. Mais Henri ne sera roi reconnu, légitime,
accepté, que s’il renonce à sa huguenoterie, s’il sait parler aux affamés et
les nourrir.
    Eux n’avaient jamais eu faim. Dans leurs maisons visitées
parfois par les « gens de rien » enrôlés dans les sections de la
Ligue, on avait trouvé des provisions pour six mois : lard et viande
salée, farine et biscuits, fruits et légumes séchés, épices et cruches de vin.
     
    La guerre, le blocus, la faim, c’étaient les enfants et les
pauvres, les faibles et les démunis qui en souffraient, non pas les riches ni
les prédicateurs.
    Vouloir la paix, ce n’était pas Vous trahir, Seigneur, mais
Vous être fidèle.
    Sauvez les plus humbles, ceux pour qui Vous avez gravi le
Calvaire et été crucifié !

 
40.
    J’ai parlé de la souffrance du peuple au roi.
    M’a-t-il écouté ?
    Henri IV était assis sous une grande tente. Il se
lissait la barbe où je discernais des poils gris. Penché en avant, la tête
rentrée

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