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Paris vaut bien une messe

Paris vaut bien une messe

Titel: Paris vaut bien une messe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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et vais comme Dieu me conduit, car je ne sais jamais
ce que je dois faire. Au bout, cependant, mes faits sont des miracles que le
Seigneur a voulus.
    Mais il est plus retors qu’il ne veut bien le paraître.
    Pour l’heure, il goûte les victoires d’Arqués et d’Ivry et
ne se soucie pas de son abjuration, mais j’ose avancer, l’écoutant et
l’observant, que si celle-ci lui paraissait nécessaire il s’y résoudrait.
    Il veut rassembler autour de lui tous les sujets du royaume
et les persuader que ce sont les ennemis de la France, les Espagnols, d’abord,
qui se dressent contre lui.
    Il m’a confié :
    — S’il y a de la rébellion, elle vient de la boue et de
la fange du peuple excité et ému par les factions des étrangers.
    Ces propos sont d’un habile souverain décidé à vaincre à
tout prix.
     
    Votre dévoué serviteur,
Vico Montanari. »

 
39.
    Montanari m’avait dit :
    — Aidez le roi, Thorenc. Il entend la raison. Ce n’est
pas un de ces fanatiques. Sa faiblesse, c’est qu’il ne les comprend pas. Il
n’imagine pas que des hommes préfèrent manger du pain dont la farine est faite
des os broyés du cimetière des Innocents, plutôt que d’ouvrir les portes à
l’armée royale. Aidez-le ! S’il ne l’emporte pas – mais je crois en
lui –, les catholiques zélés, les huguenots entêtés feront de ce royaume
une boucherie pour le plus grand avantage des Espagnols. Savez-vous ce que
Leonello Terraccini me dit ? L’un des maîtres de Paris est Diego de
Sarmiento. Il fait distribuer de la soupe aux carrefours pour les affamés. L’odeur
est à vomir : on cuit dans de grandes marmites du son, de l’avoine, de la
peau de chien, d’âne ou de chat, et les malheureux se battent pour une écuelle
de ce potage qui bout dans les chaudrons d’Espagne !
     
    Nous marchions sur les bords de Loire en ce printemps de
1590.
    Je savais que le roi désirait me voir pour me confier ce que
Montanari avait appelé une « embuscade masquée ».
    Je devais me rendre à Paris, que les troupes royales
assiégeaient et où l’on mourait de faim, où j’essaierais de rencontrer certains
membres du parlement, des ligueurs, des marchands et même des prêtres qui
souhaitaient traiter avec le roi pour en finir avec le blocus.
    Selon Montanari, j’étais l’homme le mieux placé pour mener à
bien cette mission. Je connaissais Sarmiento et le légat du pape ; le père
Verdini avait été mon guide et confesseur durant mes années de jeunesse au
Castellaras de la Tour.
    — Ceux-là sont obstinés, avait ajouté Montanari. Ils
veulent la perte de Henri IV, mais ils ne vous livreront pas aux ligueurs.
    Il m’avait serré le poignet.
    — Vous ne serez pas étranglé.
    Car on pendait, on assommait, on jetait dans la Seine, on
égorgeait tous les suspects de modération, tous les « demandeurs de
nouvelles », ou ceux qui souriaient et ne se rendaient pas sur les
remparts pour défendre la ville contre les troupes de Henri IV.
    On tuait d’autant plus qu’il y avait eu des rassemblements
sur la place de Grève, où la foule avait crié : « La
Paix ! » ou : « Du Pain ! »
    — Aidez le roi, Thorenc ! m’avait répété
Montanari.
     
    J’hésitais.
    J’avais répondu à Montanari que ce monarque qui se
prétendait soucieux de ses sujets affamait depuis plusieurs mois les deux cent
mille Parisiens, en décrétant le blocus de la capitale.
    Les morts de faim se comptaient déjà par milliers. Je n’en
avais encore rien vu, mais j’avais écouté les plaintes des Parisiens qui
avaient réussi à sortir de la ville et que Henri IV avait accepté de ne
pas refouler.
    Cependant, Séguret et Jean-Baptiste Colliard, tout comme les
Anglais de l’armée, regrettaient que le roi eût cédé à un accès de pitié :
« Il faut étrangler ce peuple, répétait Séguret. Il s’agite ? Les
pendus ne dérangent personne ! »
    Les cadavres jonchaient la rue des Fossés-Saint-Germain,
témoignait Terraccini. On avait mangé les chevaux, les ânes, les chiens, les
chats, les rats, on s’était disputé leurs entrailles, des lambeaux de charogne.
Et on avait fini par déterrer les cadavres pour faire de leurs os de la farine.
Le pain qui en était issu était blanc, d’une saveur à peine amère, mais ceux
qui en avaient mangé étaient morts.
     
    Je m’étais assis parmi ces femmes aux visages exsangues, ces
enfants pareils à des oiseaux morts. Les mères les

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