Paris vaut bien une messe
poussait les ligueurs à
l’intransigeance. Sarmiento les payait en ducats pour qu’ils refusent toute
trêve, tout compromis, et dénoncent par avance l’abjuration de Henri comme une
tromperie.
Peut-être était-ce Verdini ou l’un de ses prédicateurs qui
avait écrit cette chanson que les ligueurs entonnaient :
Tu fais le
catholique
Mais c’est
pour nous piper
Et comme un
hypocrite
Tâches à nous
attraper
Puis sous
bonne mine
Nous mettre
en ruine
Noblesse
catholique
Mais à quoi
pensez-vous
De suivre un
hérétique
Qui se moque
de vous ?
Mais je sentais que le désir de paix, donc le ralliement au
roi, s’il venait à se convertir, gagnait peu à peu les esprits. Les membres du
parlement chuchotaient qu’il était impossible que le royaume de France eût pour
souverain un étranger. À l’hôtel de Venise nous passâmes la nuit à rédiger un
arrêt qu’ils se faisaient fort de faire voter et dans lequel ils affirmaient
qu’il « fallait empêcher que, sous prétexte de religion, ce royaume qui ne
dépend d’autre que de Dieu et ne reconnaît autre Seigneur, quel qu’il en soit
au monde dans sa temporalité, ne soit occupé par des étrangers. »
Michel de Polin avait répété : « La terre même
nous montre ses cheveux hérissés et demande d’être peignée pour nous rendre les
fruits accoutumés… »
Une trêve fut conclue.
J’ai pu rouvrir les yeux, voir, sitôt la trêve proclamée,
les Parisiens franchir les remparts avec provision de pâtés et de bouteilles
pour échapper enfin à la prison qu’était devenue leur cité.
Les prédicateurs qui, du haut des murs, criaient :
« Mais à quoi pensez-vous, de suivre un hérétique qui se moque de
vous ? » étaient ignorés.
La foule allait en procession, après avoir dîné sur l’herbe,
vers les sanctuaires hors les murs, à Notre-Dame-des-Vertus, près de
Saint-Denis, qui donne la pluie, ou bien à la Vierge miraculeuse
d’Aubervilliers.
C’était un fleuve joyeux que personne ne pouvait arrêter.
L’archevêque de Bourges, pour les royaux, et celui de Lyon,
pour les ligueurs, se rencontraient et convenaient que le devoir des sujets
était d’obéir au souverain, fut-il païen ou hérétique, mais que les lois
primitives et fondamentales de cet État obligeaient qu’il fut catholique.
Polin et Vico Montanari disaient qu’il suffisait désormais
que le roi abjurât pour qu’il devînt souverain reconnu du royaume et qu’ainsi
la paix fut établie et la terre de France à nouveau peignée.
J’ai accompagné Michel de Polin et Enguerrand de Mons auprès
du roi de France et de Navarre. Polin ne doutait pas de la décision de Henri
d’abjurer.
— Il a déjà changé cinq fois de religion, disait-il. Ce
ne sera que la sixième. Il le fera par raison et par intérêt.
J’ai murmuré, en fermant les yeux et en répétant ce que le
souverain m’avait dit :
— Il le fera « pour sa gloire et pour sa couronne ».
— Religion catholique et religion réformée sont du même
arbre chrétien, complétait Polin. Henri n’est pas un mahométan. Il faut
seulement le pousser un peu. Nous le ferons !
Le roi nous attendait dans une petite pièce au plafond bas,
dans une demeure de Dreux, cette ville qu’il venait de conquérir et où les
cadavres de tant d’hommes pourrissaient encore dans les fossés.
Polin s’est arrêté devant lui, à un pas, bras croisés,
jambes écartées, bien planté sur ce sol de grosses dalles grises.
— Sire, il ne faut plus tortignonner, a-t-il dit. Vous
avez dans huit jours un roi élu en France, le parti des princes catholiques, le
pape, le roi d’Espagne, l’empereur, le duc de Savoie et tout ce que vous aviez
déjà d’ennemis sur les bras !
Le roi a reculé, le visage fermé.
— Et il vous faut soutenir tout cela avec vos
misérables huguenots si vous ne prenez une prompte et galante résolution d’ouïr
une messe.
Le Béarnais a bougonné, tête baissée.
— Vous y êtes obligé, Sire, a repris Polin, pas
seulement par votre conscience, mais parce que enfin l’Église est la voie du
salut.
Il a hésité, m’a décoché un regard.
— Si vous étiez quelque prince fort dévotieux, je
craindrais de vous tenir ce langage. Mais vous vivez trop en bon compagnon pour
que nous vous soupçonnions de faire tout par conscience. Craignez-vous
d’offenser les huguenots, qui sont toujours assez contents des rois quand ils
ont la liberté
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