Paris vaut bien une messe
dans les épaules, il me semblait las, fermant parfois les yeux comme
pour s’assoupir, indifférent à ce que je lui disais avoir vu et entendu à
Paris.
Affichées aux portes de Notre-Dame, j’avais lu les bulles
pontificales qui l’excommuniaient. Un membre du parlement proche de Michel de
Polin m’avait confirmé que des listes de noms établies par le Conseil des Seize
avaient été répandues parmi les ligueurs. Certains étaient suivis de la lettre
P, d’autres par les lettres D et C.
— P pour pendu, D pour dagué, C pour chassé, ai-je
expliqué.
Le souverain s’est un peu redressé, puis a murmuré :
— Il n’est pas croyable, le nombre de gens que l’on met
après moi pour me tuer, mais Dieu me gardera !
Il était bien roi, homme ne pensant qu’à lui-même et me
confiant tout à coup :
— Thorenc, c’est pour ma gloire et pour ma couronne que
je combats ; ma vie et tout autre chose ne me doivent rien être à ce prix.
Que lui importait, dès lors, que je lui dise que les
lansquenets au service de la Ligue avaient pourchassé des enfants dans les rues
pour les tuer et s’en nourrir, ou bien qu’une mère avait dévoré les cadavres de
ses deux fils tant la faim l’avait rendue folle ! Et que l’on comptait
près de trente mille morts dans la ville, affamés par le blocus.
Il m’a paru insensible, quoiqu’il m’ait dit en se
levant :
— Mon dessein a été, depuis qu’il a plu à Dieu de me
donner le commandement souverain de tant de peuples, de préparer les moyens, au
milieu de tant de troubles, de les faire, avec le temps, jouir de la paix.
Il est sorti de la tente et j’ai été surpris de le voir
marcher si prestement et si joyeusement alors que je l’avais cru écrasé de
fatigue et qu’il m’avait dit en soupirant :
— Certes, Thorenc, je vieillis fort !
Or, maintenant, il bondissait en selle, riant, ordonnant
d’un geste vif à Jean-Baptiste Colliard de l’accompagner…
J’ai à mon tour quitté la tente.
Elle avait été dressée sur les hauteurs de Montmartre, à
quelques pas des canons qui, de temps à autre, bombardaient Paris.
Séguret s’est avancé vers moi, se retournant pour suivre des
yeux le roi et Colliard qui s’éloignaient.
— Notre vert-galant s’en va visiter le magasin des
engins de l’armée ! a-t-il lâché, narquois.
Je n’y comprenais goutte, pour le plus grand plaisir de
Séguret, qui me confia qu’il appelait ainsi ces abbayes : la bénédicte de
Montmartre – bras tendu, il m’en montrait les bâtiments, desquels le roi
s’approchait – et la franciscaine de Longchamp où il se rendrait peut-être
après.
— S’il en a encore la force…, car ces nonnes sont des
chèvres lascives et elles épuisent le vieux bouc !
Séguret m’a pris le bras. Les bénédictes et les
franciscaines d’à peine vingt ans s’ennuyaient tant entre leurs vêpres et leurs
matines qu’elles avaient accueilli à jambes ouvertes le souverain et ses
gentilshommes, et qu’elles étaient devenues des « engins de
l’armée » !
Les dames qui se croyaient les maîtresses du roi –
ainsi la belle Gabrielle d’Estrées, si blonde qu’elle en éblouissait –
avaient montré leur déplaisir et dit que c’était là non seulement débauche,
mais perversion et sacrilège.
— Nous n’avons forcé aucune de ces chevrettes vêtues de
cotillons de satin blanc, a précisé Séguret. Elles se sont données en bonnes
chrétiennes, sans se soucier de savoir qui était huguenot ou nouveau
catholique !
Seigneur, ce roi que je servais, dont je souhaitais qu’il
régnât sur le royaume de France, ce monarque qui mettait le blocus autour de sa
capitale, forniquait avec des jeunes filles qui s’étaient unies à Vous,
jouissait pendant que des enfants mouraient de faim dans Paris et qu’on en
tuait d’autres comme du gibier.
Seigneur, j’ai été tenté d’abandonner ce souverain, de ne
plus retourner à Paris, comme il me le demandait, de ne plus suivre non plus
son armée qui assiégeait Rouen, affrontant les troupes espagnoles alliées à la
Ligue, de lâcher ce monarque qui acceptait que ses soldats pillent et
massacrent, qui appelait à l’aide six mille Anglais, six mille Suisses et
autant de reîtres allemands tout en demandant au sultan turc d’attaquer
Philippe II.
Je suis pourtant resté à ses côtés.
— Voulez-vous, Thorenc, me demandait Michel de Polin,
que Philippe II soit le
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