Perceval Le Gallois
sache que tu as commis là une fort méchante action ! – Suis-je ensorcelé ? demanda le Gallois. Es-tu une femme ou bien une diablesse attachée à ma perte ? » La jeune fille sourit, et il s’aperçut qu’elle était d’une beauté remarquable. Son cœur en fut tout chaviré, et il se sentit envahi par un violent désir.
« Que me réclames-tu pour t’avoir causé du tort ? s’enquit-il d’une voix subitement radoucie. – Ce n’est pas à moi que tu as fait du tort, répondit-elle. Sache seulement que tu as fait perdre à l’Impératrice sa table de jeu, et elle ne l’eût pas donnée pour un empire. » En l’entendant mentionner l’Impératrice, Perceval éprouva un trouble profond. « Tu connais donc l’Impératrice ? demanda-t-il. – Qui ne la connaît ? répliqua la jeune fille. Il te faut venir de bien loin pour ignorer que cette forteresse appartient de plein droit, par héritage légitime, à l’Impératrice dont je suis la fidèle vassale. – Certes, jeune fille, mais je ne me souvenais pas de cela, pas plus que de t’avoir vue. Sais-tu que tu es belle ? – On me l’a dit. Mais qu’as-tu donc, chevalier ? Ton visage a changé de couleur et tu trembles : aurais-tu peur de moi ? – Ce n’est pas de peur que je tremble, dit Perceval, mais d’angoisse, à cause de toi. – De moi ? En vérité, je ne comprends pas. En quoi suis-je responsable de ton angoisse ? – Fille à la chevelure noire, je t’aime plus que ma vie ! » Et sur ce, il l’attira contre sa poitrine et la baisa le plus qu’il put. Et il eût certainement fait davantage si elle ne s’était débattue. « Seigneur, dit-elle, je vais te l’avouer. Sans mentir, c’est la première fois qu’un homme me requiert d’amour. Tu es véritablement le premier. Mais sache-le, si tu me prends de force, ta valeur s’en trouvera fort amoindrie. Si tu souhaites obtenir mon amour, il va te falloir aller dans le bois tout proche et y poursuivre le Blanc Cerf qui le hante. Rapporte-moi sa tête, et je me soumettrai à ta volonté. – Belle, dit Perceval, je ferai comme tu le dis et je t’apporterai la tête du Blanc Cerf ! » Il remettait son heaume et se préparait à partir quand la jeune fille ajouta : « Je dois te dire que tu ne saurais conquérir le cerf sans l’aide de mon petit chien. C’est un brachet qui est très beau et très docile, prends-le avec toi. Dès qu’il l’aura vu, le cerf ne pourra plus s’échapper. Cependant, garde bien mon brachet car, si tu le perdais, jamais tu n’obtiendrais ce que tu désires. Et arme-toi avec soin, parce que tu risques ta vie en allant là-bas. – Belle, répondit Perceval, entièrement subjugué par la beauté de la fille aux cheveux noirs, confie-moi ton brachet, et je jure de te rapporter la tête du Blanc Cerf ! – Il n’est pas certain que tu y parviennes, dit encore la jeune fille. Ce n’est pas un cerf comme les autres, crois-le bien. Il a au front une corne aussi longue qu’une hampe de lance, et à la pointe aussi aiguë que la pire des épines. Il brise les branches des arbres et tout ce qu’il y a de plus précieux dans la forêt. Il tue tous les animaux qu’il rencontre, et ceux qu’il ne tue pas meurent de faim. Il fait encore pis : il va tous les soirs boire l’eau du vivier, et il laisse les poissons au sec. Beaucoup périssent avant le retour de l’eau. Seul mon brachet peut lever le Blanc Cerf. Cela fait, il reviendra vers toi, et alors le cerf t’attaquera. Certes, je ne voudrais pas être à ta place à ce moment-là ! » Sur ce, la jeune fille aux cheveux noirs sortit de la chambre où elle rentra peu d’instants plus tard, portant en ses bras un petit chien jaune. « Va, maintenant, dit-elle, et si tu reviens, tu auras ce que tu espères. »
Perceval à sa suite, le brachet s’empressa de gagner le bois, flaira le sol, huma la brise et, soudain, s’élança parmi la futaie. Bientôt retentirent ses aboiements furieux, et il reparut ventre à terre, précédant de peu le Blanc Cerf qui, d’emblée, fonça sur Perceval. Mais celui-ci l’esquiva d’un bond avant de se retourner et de lui porter un coup si violent qu’il lui trancha la tête. Or, pendant qu’il considérait le trophée qu’ornait une corne aussi longue, effectivement, que la hampe d’une lance, survint une cavalière, laquelle blottit le brachet dans sa cape et plaça la tête du cerf entre elle-même et l’arçon de sa selle. « Ah !
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