Perceval Le Gallois
dommage, répondit la cavalière. Ton amie s’attristera fort en apprenant que tu renonces à elle. Si tu lui avais rapporté le brachet et la tête du Blanc Cerf, nul doute qu’elle ne t’eût accueilli en son lit cette nuit de sorte que tu en fusses aussi satisfait qu’honoré. – Tu te moques de moi ! s’exclama Perceval. Tu sais pertinemment qu’un chevalier m’a dérobé la tête et le brachet. – Peut-être, admit la cavalière, mais si tu me l’avais demandé, je t’aurais indiqué où réside ce chevalier et comment tu pouvais lui reprendre ton bien. – Il est trop tard, maintenant. Je ne me laisserai plus prendre aux pièges que me tendent les créatures de ton espèce. » Et, sans attendre de réponse, le Gallois éperonna son cheval et le lança dans le chemin.
Il arriva bientôt dans la vallée et la descendit en longeant la rivière. Or, vers le milieu de la journée, un tourbillon nuageux entreprit de troubler les airs, puis le tonnerre se mit à gronder, tandis que des éclairs zébraient le ciel, et il plut si fort que Perceval en fut presque aveuglé. Les bêtes des bois grelottaient toutes sous la tempête, et les grands arbres se brisaient avec fracas de toutes parts. Mais Perceval n’avait cure ni de l’orage ni des rafales et poursuivait sa chevauchée. Enfin, vers la tombée de la nuit, la tempête s’apaisa, les nuages se dissipèrent, la lune se leva et les étoiles scintillèrent au firmament en répandant tant de clarté que jamais le Gallois ne vit nuit si pure ni si lumineuse.
Il continuait d’avancer, perdu dans ses pensées. Il songeait à ce qu’il avait vu dans la demeure du roi boiteux. Il songeait à la Lance, emperlée de gouttes de sang qui ruisselaient jusqu’au poing du valet. Il songeait au Graal et à la lumière irréelle dont celui-ci, entre les mains de la jeune fille à la chevelure blonde, avait inondé la salle. Et la tristesse l’étreignait de n’avoir pas posé les questions sur tous ces prodiges. Que ne l’avait-il fait ! Le roi blessé aurait été guéri, le royaume aurait retrouvé bonheur et prospérité…
Perceval aperçut alors devant lui, à quelque distance, un arbre feuillu qui se dressait sur son chemin et, chose plus étonnante encore, dans les branches duquel étincelaient plus de mille chandelles, aussi éblouissantes que les étoiles épanchées dans le ciel. Sans hésiter, Perceval marcha droit vers l’arbre qui lui semblait comme embrasé. Mais au fur et à mesure qu’il s’en rapprochait, la clarté déclinait, s’affaiblissait. Aussi pressa-t-il l’allure de son cheval mais, le but atteint, n’y découvrit plus ni chandelles, ni flamboiement, ni rien d’aspect surprenant. Toutefois, à deux pas derrière l’arbre, se révéla une chapelle, la plus belle et la mieux construite qu’il eût jamais vue, du moins le pensa-t-il. À l’intérieur paraissait vaciller une claire lueur. Le Gallois descendit de son cheval, laissa celui-ci au repos près du mur et, poussant la petite porte, entra. Il trouva la nef déserte mais, à force de regarder de tous les côtés, il finit par voir sur l’autel le cadavre d’un chevalier qu’on avait drapé d’une riche étoffe de soie de couleur ornée de fleurs d’or. Devant brûlait un cierge.
Perceval, très étonné, tendit et prêta l’oreille, s’attendant à voir paraître quelqu’un, mais tout demeurait vide et silencieux. Il hésita un long moment, perplexe, ne sachant s’il devait rester ou partir. Or, tandis qu’il remuait ces pensées, une intense clarté provenant on ne savait d’où commença d’envahir la chapelle. Toujours immobile, il contempla cette lumière qui le frappait presque de cécité. Mais la lumière s’atténua peu à peu, et bientôt ne clignota plus que la menue lueur de la chandelle. Là-dessus, un terrible vacarme rompit le silence, et Perceval en fut si abasourdi qu’il crut que la chapelle s’écroulait et tombait en ruine.
Derrière l’autel apparut alors une main noire, au bout d’un bras qu’on voyait jusqu’au coude, et elle éteignit la chandelle. Perceval se retrouva plongé dans l’obscurité la plus totale. Cependant, il n’éprouvait aucune crainte et se tenait prêt à se défendre si on l’attaquait. Mais tout demeura silencieux, et personne ne vint l’assaillir. Ses yeux distinguèrent bientôt la clarté laiteuse de la lune au travers d’une ouverture mais, sur l’autel où gisait le mort, l’ombre était
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