Perceval Le Gallois
forteresse sise dans une vallée sur les bords d’un étang. Là réside un roi boiteux qu’on nomme le Roi Pêcheur. » Lors la jeune fille prit la parole : « Chevalier, dit-elle, nous ne connaissons pas de roi boiteux qui se fasse appeler le Roi Pêcheur, mais nous pouvons cependant te rendre service. Tu pourras recueillir des informations sur ce Pêcheur en parcourant les terres de mon père. Tu y trouveras nombre de gens pour t’indiquer le chemin que tu cherches. Or, sache, chevalier, que si je le pouvais, je te servirais moi-même de guide, car tu es l’homme que j’aime le plus au monde. Néanmoins, je te conseille de franchir la montagne que tu vois, de l’autre côté de la vallée. Sur l’autre versant, tu verras une grande lande et, au milieu de cette lande, une forteresse que nous appelons le Château de l’Échiquier. Si, la forteresse, nous la connaissons, nous ne savons rien de l’Échiquier. Toutefois, si tu veux quelque renseignement au sujet de ce Roi Pêcheur dont tu parles, c’est là qu’on te le donnera. » Après avoir passé la nuit avec la jeune fille, Perceval, au petit matin, quitta ses hôtes et s’en alla directement vers la montagne.
Sur l’autre versant, dressée sur un piton rocheux qui dominait un grand étang, il aperçut la forteresse qu’on lui avait signalée. Il s’en approcha et vit que ses portes, bien taillées et ouvragées, n’étaient pas fermées. Il eut envie d’entrer pour mieux admirer la beauté de l’édifice. Au-delà de l’enceinte, il se retrouva dans une grande cour dont l’herbe ne paraissait pas avoir été foulée depuis longtemps. Au milieu de cette cour, deux grands pins encadraient un beau manoir de pierre grise. Au demeurant, tout semblait désert, et Perceval ne vit personne aux alentours. Il se dirigea vers le manoir, mit pied à terre et attacha son cheval au montoir. Après avoir déposé sa lance et son bouclier, il entra par une porte qui était également ouverte dans une salle emplie de lances et de javelots, de grandes épées d’acier bruni et de toutes sortes d’armes bien fourbies. Des tentures ouvragées tapissaient les murs et, au milieu, se trouvait un lit d’ivoire couvert d’un riche drap tissé en quelque pays lointain. De plus en plus éberlué de ne trouver âme qui vive dans ce manoir, Perceval s’assit sur le lit, ôta son heaume et se mit à réfléchir.
« Certes, se dit-il, il fait bon être ici. Mais quel peut bien être le maître de telles richesses ? » En regardant plus attentivement, il remarqua une porte, au fond de la salle, et qui était fermée. Il s’en approcha, la poussa, et découvrit une belle pièce voûtée et disposée comme une chambre. Il y flottait un parfum suave qui émanait Dieu savait d’où. De sorte que Perceval s’abandonnait à une douce rêverie, telle qu’il n’en avait pas connu depuis bien longtemps.
Il aperçut soudain, sur une table basse, un échiquier peint d’azur et d’or dont les pièces étaient de l’ivoire le plus pur. Machinalement, il saisit un pion, et le désir lui vint de le pousser sur une autre case. Aussitôt, d’une manière tout à fait semblable, s’avança, de l’autre côté de l’échiquier, un pion et ce sans que personne l’eût manié. Perceval s’en émerveilla grandement, puis il décida de poursuivre l’expérience ; il poussa un autre pion qui se trouvait de son côté. Immédiatement, un pion de l’autre camp se déplaça de telle sorte que celui qu’il avait bougé fut pris. « En vérité ! s’écria-t-il, il y a quelque diablerie là-dessous ! » D’un revers de main, il renversa toutes les pièces, mais celles-ci se redressèrent instantanément sur l’échiquier et se remirent d’elles-mêmes à leur place, sous l’œil ébahi du Gallois.
Par deux fois encore il joua, et par deux fois il fut mis en échec. Alors, saisi d’une grande colère, il empoigna les pièces et, s’approchant de la fenêtre qui était ouverte, les jeta dans l’étang, ainsi que l’échiquier. À ce moment, une jeune fille aux cheveux très noirs pénétra dans la chambre. « Puisse Dieu ne jamais t’accorder grâce ni réconfort ! s’écria-t-elle. Je crois qu’il t’arrive de faire plus souvent le mal que le bien ! » Perceval bondit, les mains tremblantes de colère. « Qui es-tu ? demanda-t-il brutalement. – Qu’importe ! répondit-elle. L’essentiel est que tu as jeté l’échiquier dans l’étang, et
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