Perceval Le Gallois
seigneur ! s’écria-t-elle, tu as agi avec la dernière discourtoisie en détruisant le bien le plus précieux de mes domaines ! – On me l’a commandé, répondit Perceval. Mais, s’il te plaît, rends-moi la tête et le brachet ! – N’y compte pas ! s’exclama-t-elle. Tu m’as causé du tort et tu me dois réparation. – Qu’exiges-tu de moi pour prix de ton amitié ? demanda Perceval. – Ce n’est pas difficile. Rends-toi sur la croupe de cette montagne, là-bas. Tu y verras un énorme buisson et, au pied de ce buisson, une pierre plate. Une fois arrivé là, demande par trois fois et à haute voix quelqu’un pour se battre avec toi. Voilà à quelle condition tu pourras obtenir mon amitié. Sans cela, je ne te restituerai ni la tête ni le brachet. »
Perceval se mit en marche, et la cavalière le suivit. Parvenu devant le buisson, il demanda par trois fois, d’une voix forte, quelqu’un pour se battre avec lui. Aussitôt, un homme revêtu d’une armure noire sortit de sous la pierre, monté sur un cheval osseux. Le combat commença sur-le-champ, mais chaque fois que Perceval le renversait, son adversaire sautait en l’air et se retrouvait incontinent ferme sur sa selle. Perceval descendit pour lors de cheval et tira son épée, mais l’homme noir en profita pour lui dérober sa monture et disparaître sans qu’on pût savoir où ni comment. « C’est bien, dit la cavalière, tu as fait ce que je t’avais ordonné. Je n’ai qu’une parole. Voici la tête et le brachet. » Une fois ceux-ci déposés aux pieds de Perceval, elle se mit toutefois à rire : « Et maintenant que tu n’as plus de cheval, que vas-tu faire ? » Puis, sans attendre, elle piqua des deux et s’évanouit sur l’autre versant de la montagne.
Perceval se trouva fort embarrassé : comment s’y prendre pour retourner au Château de l’Échiquier avec la tête du cerf et le brachet ? Il eut beau faire le tour du buisson pour essayer de découvrir par où s’était enfui l’homme noir, il n’en releva nulle trace. Il poursuivait ses investigations sous la pierre plate quand survint un second chevalier tout armé, monté sur un grand destrier gris pommelé. De son heaume s’échappaient des boucles de cheveux blancs, et il tenait un fouet en sa main droite. En voyant Perceval perdu dans ses recherches, il s’approcha sans bruit et, d’un geste prompt, saisit le brachet et la tête du cerf, les plaça sur l’encolure de son cheval et s’en alla au triple galop. Le tapage alerta Perceval qui, se redressant, put simplement constater le rapt. Mais, faute de cheval, il ne pouvait poursuivre le voleur, lequel d’ailleurs dévalait déjà la pente opposée. De désespoir, il se laissa choir au pied du buisson et se perdit en de profondes méditations. Il n’avait que trop mérité son sort en succombant à son attirance pour la jeune fille à la chevelure noire ! « Hélas ! dit-il en soupirant, qu’en est-il de mes résolutions ? Ai-je oublié déjà ce que m’avait dit mon oncle l’ermite ? Suis-je maudit, vraiment, pour avoir causé la mort de ma mère ? Ne découvrirai-je jamais le secret de la coupe d’émeraude qu’on nomme le Graal ? » Et il se mit à verser des larmes amères.
Or, l’homme noir surgit brusquement près de lui. « Quel est le motif de ta tristesse ? » lui demanda-t-il. Perceval bondit sur ses pieds et brandit son épée. « Seigneur ! protesta l’autre, abaisse ton épée, je ne te veux nul mal. Si je t’ai combattu tout à l’heure, c’est parce que je le devais en faveur d’une femme que j’ai le malheur d’aimer. Et si je t’ai pris ton cheval, c’était pour te protéger, car le chevalier qui t’a dérobé le brachet et la tête t’aurait tué. – Mensonges que tout cela ! s’écria Perceval. Par ma foi, tu mourras, et je me vengerai sur toi de tous mes revers ! – La vengeance n’est pas une bonne chose, rétorqua l’homme noir, et elle ne répare jamais les torts qu’on nous a causés. » Les paroles de l’homme noir réveillèrent en Perceval l’écho du discours que lui avait tenu son oncle sur la violence et la haine. Aussi jeta-t-il son épée sur l’herbe. « Dans ce cas, parle, maugréa-t-il, et explique-moi pourquoi tu te conduis ainsi.
— Je te remercie, seigneur, et vais te révéler pourquoi je suis venu en ce lieu. C’est la jeune fille aux cheveux noirs, la même qui t’a confié le brachet, qui me dépêcha
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