Perceval Le Gallois
ses armes et, plaçant son brachet devant lui, s’engagea de nouveau dans l’étroit sentier qui traversait la forêt. Après avoir chevauché ainsi jusqu’au milieu du jour, il déboucha dans une vaste clairière au centre de laquelle se dressait un grand arbre dont les branches retombaient harmonieusement sur l’herbe épaisse qui tapissait le sol. La mule blanche broutait là et, non loin d’elle, se trouvait la jeune fille qui avait abandonné Perceval au cours de la nuit. Il alla vers elle et mit pied à terre pour la saluer. « Douce amie, lui dit-il, sais-tu quelque chose au sujet de la clarté qu’on voyait dans le bois cette nuit ? Je t’en prie, si tu la connais, dis-moi la vérité. Et pourquoi m’as-tu laissé, avant que n’éclate la tempête ?
— Seigneur, répondit-elle, ne me tiens pas rigueur de t’avoir laissé cette nuit. Le temps était si obscur, si ténébreux, que je ne voyais rien, et je redoutais fort de rencontrer un chevalier qui m’a fait jurer de n’accepter la compagnie d’aucun autre homme vivant que lui-même. Je voulais tenir ma promesse, et voilà pourquoi je t’ai paru si pleine d’animosité et de mépris. Mais, depuis qu’il m’a quittée, hier, je ne l’ai plus revu, je te l’assure, et toi-même tu peux témoigner que tu ne l’as pas rencontré. – Certes, belle amie, je puis en témoigner. Nous n’avons croisé aucun chevalier dans ce chemin qui traversait la forêt. Mais, dis-moi, qui est cet homme que tu sembles tant redouter et qui t’a fait promettre une chose aussi insensée ? – Seigneur, on l’appelle Brun sans Pitié. C’est un bon chevalier, j’en conviens, et il est habile à parler. M’est avis néanmoins qu’il n’a pas volé son nom ! – J’ai entendu parler de lui, répondit Perceval, et, si je le voyais, je crois que je le reconnaîtrais. Mais, dis-moi, si cela ne t’ennuie pas, cette nuit, quand tu m’as quitté, la tempête t’a-t-elle surprise ? Pour ce qui est de moi, je t’avoue que j’en ai été grandement effrayé. – Non, seigneur. Vraiment, je n’ai rencontré ni pluie ni tonnerre, car la nuit fut belle et claire. Même je n’en vis jamais plus belle ni plus sereine. Pourquoi me parles-tu de tempête ? Tu as dû dormir sur ton cheval et rêver que le ciel s’embrasait et tombait sur ta tête. – Mais enfin ! s’écria le Gallois, impatienté, n’as-tu pas vu la lumière ? Elle se trouvait devant nous ! – La lumière, c’est autre chose, répondit la jeune fille. Je peux t’en dire la raison. As-tu déjà entendu parler du Roi Pêcheur qui demeure dans une belle forteresse du nom de Corbénic, au-delà de cette rivière ? Il est venu la nuit dernière en cette forêt qu’il aime et où il se plaît, surtout quand sa blessure le tourmente plus cruellement. Sais-tu que le Roi Pêcheur conserve en son manoir une relique très précieuse à laquelle on a donné le nom de Saint Graal ? Ce Graal est une chose sainte, car il contient toutes les richesses et toutes les beautés du monde, et de lui émane une lumière qui éclipse la lueur des torches et des chandelles et qui est encore plus intense que celle du soleil lui-même.
« Cette lumière que tu as vue dans la forêt était la lumière du Graal, sois-en certain, seigneur. Le Roi Pêcheur l’a fait porter avec lui au milieu de la forêt, car le diable ne peut agir ni perturber les hommes quand il voit sa lumière. Et lorsqu’on porte le Graal devant le roi, celui-ci n’a pas besoin de torches pour éclairer sa route. Il va et se réjouit de traverser des pays qu’il aime et dont il est le maître. Car sache que le Roi Pêcheur est un homme de noble lignée, auquel on doit hommage et respect bien qu’il soit boiteux et qu’il souffre d’une blessure inguérissable. »
À ce discours, Perceval sentit son cœur battre si fort qu’il le crut sur le point d’éclater. « Douce amie, lui dit-il, parle-moi encore du Graal, ne me cache rien à ce sujet ! Révèle-moi les privilèges du Roi Pêcheur ! Dis-moi ce que tu sais de la Lance qui saigne. C’est pour connaître tous ces mystères que je me suis lancé dans les aventures qui m’ont mené jusqu’à toi !
— Seigneur, répondit la jeune fille, je ne puis ni ne dois t’en dire davantage. Il est des choses qu’on ne peut entendre sans frémir, sans pâlir, sans trembler de peur. Permets-moi de ne plus parler de tout cela. Je te dis la pure vérité. Mais si tu veux
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