Perceval Le Gallois
premier. L’homme répondit : « Seigneur, que Dieu te donne joie et bonheur et qu’Il te procure tout ce que ton cœur peut désirer ! – Beau seigneur, qu’il en soit ainsi pour toi-même. Maintenant, dis-moi qui tu es et ce que tu fais ici. – Je n’ai pas de raison de te le cacher, cher seigneur, je suis Briol de la Forêt Brûlée. Et toi ? Il me tarde de savoir ton nom. – Jadis, on m’appelait le Fils de la Veuve Dame, mais on me nomme aujourd’hui Perceval le Gallois. Or je t’en prie par Dieu tout-puissant, si tu le sais, dis-moi sans nulle feinte où se trouve la forteresse où réside un roi boiteux qui se fait appeler le Roi Pêcheur. – Voilà une étrange question ! s’étonna Briol de la Forêt Brûlée. Du moins me prouve-t-elle que tu n’es pas l’un de ces chevaliers qui ne pensent qu’à tuer des comtes pour épouser leurs veuves et hériter de leurs domaines. D’ailleurs, tu es passé par le Pont de Verre, épreuve que peu de gens ont surmontée jusqu’à ce jour. Je n’en éprouve que davantage de respect pour toi.
— Voilà qui est fort bien, dit Perceval qui commençait à s’impatienter, mais je t’ai demandé si tu savais quel chemin mène à la demeure du Roi Pêcheur ! – J’ai bien entendu, répondit Briol, seulement, pour s’y rendre, il faut emprunter un pont que personne ne peut franchir. – Je le franchirai bien, moi ! » dit Perceval. Briol de la Forêt Brûlée se prit à sourire. « Enfant ! dit-il, tu ne sais de quoi tu parles. À ma connaissance, nul ne l’a jamais franchi parce qu’il est inachevé. Or, il ouvre le seul chemin vers la forteresse du Roi Pêcheur. – Peu importe ! répliqua le Gallois. Je t’en prie, pour l’amour de Dieu, conduis-moi à ce pont. – Il est tard, et la nuit va bientôt tomber. Je t’y mènerai demain. D’ici là, mieux vaudrait venir te reposer en mon manoir. – Volontiers, seigneur ! » dit Perceval.
Ils entrèrent tous deux dans le bois et, tout en chevauchant, devisèrent de choses et d’autres. Comme le trophée du Blanc Cerf n’avait pas manqué d’attirer les regards de Briol et de susciter sa curiosité, Perceval lui conta ses aventures et lui montra le brachet qu’il tenait toujours en son giron. Il ne cacha rien non plus de la mule que lui avait prêtée la jeune fille, ni de l’anneau qu’il portait au doigt.
En suivant de conserve le sentier, ils arrivèrent bientôt devant le manoir que protégeaient de puissantes murailles de marbre et, sitôt devant la porte, Briol sonna par deux fois de son cor. À l’intérieur, un valet répliqua de même et à longue haleine, et la cour se remplit de serviteurs et de chevaliers qui vinrent à leur rencontre. Le maître du château commanda de faire honneur à Perceval et de le servir comme leur seigneur. Les chevaliers les aidèrent alors à descendre de leurs montures et prirent celles-ci pour les mener aux écuries, le Gallois leur recommandant de prendre grand soin de la mule blanche. Là-dessus, son hôte et lui furent désarmés, et on leur apporta deux manteaux richement tissés et ornés.
D’une chambre sortit alors une dame vêtue d’étoffe écarlate, qui vint saluer son seigneur et témoigna grande joie à Perceval. Tous trois s’assirent ensuite sur un drap de soie, mais Briol s’éloigna bientôt pour ordonner d’apprêter le repas. Cela fait, il s’en fut dans une chambre au pavement d’ambre et de marbre. Brodant une ceinture, s’y trouvait une jeune fille si belle qu’on l’eût prise pour une sirène ou pour une fée. Elle se leva et salua gracieusement son père, lequel la prit par la main et l’emmena dans la salle afin de la présenter à Perceval. Dès qu’il la vit, celui-ci se leva et la salua. Elle-même s’inclina devant lui avant de s’asseoir à ses côtés. « Ma fille, dit Briol, je te prie de faire grande fête à ce seigneur, car il est preux et courtois. »
Il n’ajouta rien, car les valets et les servantes entrèrent, dressèrent les tables et présentèrent l’eau. Après s’être lavé les mains, tous quatre prirent place et se mirent à manger. La jeune fille se trouvait près de Perceval et lui tint agréable compagnie pendant tout le repas qui fut aussi abondant que divers. Ils parlèrent de tout et de rien puis, comme, leur faim rassasiée, il ne faisait pas encore nuit, ils allèrent se promener au-dehors. Depuis le pont, ils contemplèrent l’eau où nageaient de beaux poissons,
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