Perceval Le Gallois
cet anneau ? Il est surmonté d’une pierre riche et précieuse qui n’a pas sa pareille en tout le royaume de Bretagne. Prends-le et mets-le à ton doigt, Perceval. Tant que tu le porteras, par Dieu tout-puissant, ma mule blanche te mènera où tu voudras aller, sans que tu doives craindre de t’égarer ni redouter en rien les passages difficiles. Mais s’il t’advient, par folie ou malchance, de le perdre, attends-toi au pire : la mule s’arrêtera, et rien ne pourra plus la faire bouger de sa place, que tu te trouves alors dans une forêt, dans une lande, dans une forteresse, dans une ville, sur une rivière ou sur la mer. Et sache bien que si un autre que toi portait l’anneau au doigt, il pourrait se faire mener par ma mule en tous lieux où il lui plairait d’aller. Sur ce, Perceval, assez jacassé ! Enfile l’anneau à ton doigt et pars ! »
Elle lui tendit l’anneau. Il le prit et l’enfila sur un doigt de sa main gauche. « Jeune fille, je te remercie, dit-il, et que Dieu te garde en toutes circonstances. – Que Dieu te garde, toi aussi, Perceval, répondit-elle. Mais sache que je reprendrai ma mule et mon anneau, sans délai ni discussion, pour peu que je te rencontre à nouveau. – Par ma foi, je ne voudrais en aucun cas provoquer ton courroux. Je te rendrai la mule et l’anneau sitôt que tu me le demanderas. » Il s’inclina devant la jeune fille, sauta sur le dos de la mule, et, tirant la bride de son cheval, entreprit de traverser la lande. Depuis l’entrée du pavillon, la jeune fille le suivait des yeux.
Sur la selle du destrier était toujours attachée la tête du Blanc Cerf, et le Gallois portait toujours le précieux brachet auquel il devait tant d’épreuves. La mule suivait le grand sentier à vive allure, et le cheval venait derrière. Ainsi allait-il, à travers bois et vallées. À un carrefour, la mule, sans hésiter, tourna sur la droite. Perceval ne s’en inquiéta pas : il lui avait lâché le frein, et elle poursuivait sa route en toute liberté, de manière sûre et parfaite. Souvent, le Gallois regardait l’anneau que lui avait prêté la jeune fille, et la gemme en était si belle qu’il en demeurait encore étonné. Il chemina de la sorte toute la journée et dut passer la nuit dans la forêt, sans boire ni manger. Néanmoins, jusqu’au lever du jour, il garda la blanche mule et le destrier.
La matinée s’annonçait belle sans que le soleil fût encore trop chaud quand Perceval se remit en chemin sur la mule qui savait parfaitement quelle route prendre. Dès la première heure, il avait parcouru une longue distance, et il ne se lassait pas de regarder l’anneau et sa pierre. Il parvint bientôt à une rivière que traversait un pont de verre. Alors, il s’arrêta et regarda : large d’une portée d’arbalète, la rivière était si profonde et périlleuse qu’aucune barque, si grande et si parfaite fût-elle, n’eût pu la franchir, car le courant était fort et rapide. Quant au pont, il semblait des plus fragiles : il était en verre, large de deux pieds et demi, et si transparent que l’on pouvait voir, en dessous, l’eau véhémente comme une tempête.
Sans s’attarder davantage, Perceval relâcha le frein et, aussitôt, la mule monta sur le pont fragile. Derrière, venait le cheval, mené par la bride. Le Gallois y tenait beaucoup et n’aurait jamais consenti à l’abandonner. Or, si la blanche mule avançait lentement, d’un pas très sûr, le cheval néanmoins suivait à grand-peine et grande terreur, tant le pont était périlleux. Quand ils se trouvèrent en son milieu, des craquements sinistres se firent entendre, et le pont ployait, vacillait si fort qu’il sembla devoir s’effondrer dans l’abîme. Mais Perceval, se fiant aveuglément à la mule, ne s’en alarma point.
Cependant, une fois parvenu de l’autre côté, il jeta un regard en arrière et s’ébahit de voir le pont intact et en bon état. « Pourtant, se disait-il, je l’ai bien senti se briser et voler en éclats ! Certes, ce doit être une chose terrible pour un poltron que de traverser ce pont de verre ! » Il aperçut alors, à l’orée d’un bois, un homme d’aspect fort sage qui, un cor d’ivoire au col, tenait une épée dans son poing. Deux lévriers l’accompagnaient. Il avait fière prestance sur son cheval bai, tout désarmé qu’il fût, haut retroussé et simplement chaussé de bottes. Après l’avoir examiné, Perceval le salua le
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