Perceval Le Gallois
Kaerbeli ? Qu’en est-il de la promesse que tu fis à ta mère de venger la mort de ton père et de reprendre les États qu’il avait injustement perdus ? Tant que tu n’auras pas tenu ces promesses, tu ne pourras jamais revenir en la cour où tu es déjà allé pour ta grande honte, n’y ayant pas posé les questions qu’on attendait de toi. – Mais, dit Perceval, comment sais-tu tout cela, toi qui me parles et que je ne vois pas ? – Je t’ai dit que tes yeux n’étaient pas encore assez purs. Il est donc naturel que tu ne puisses pas me voir. Je suis pourtant près de toi, mais comme je suis d’une essence aérienne, tu ne distingues pas mes traits. Pour que tu me voies, il me faudrait prendre une apparence qui te fût familière mais, aujourd’hui, je n’ai nulle envie de me montrer à toi. Un jour, peut-être m’y déciderai-je, et je ferai en sorte de te guider. – Mais qui es-tu donc ? demanda Perceval. Dis-le-moi, je t’en prie, pour l’amour de Dieu ! – Jadis, reprit la voix, on m’appelait le Sage Merlin ou encore Merlin le Prophète. Mais j’ai tant erré sur la terre, tant traversé de villes, tant vu de misères, de malheurs et de trahisons que je me suis enfui de ce monde. – Merlin ! Merlin ! s’écria Perceval, est-ce donc toi ? Es-tu ce devin dont on m’a si souvent parlé et qui fut le sage conseiller du roi Arthur et de son père le roi Uther Pendragon ? – En effet, je suis celui-là. – Est-ce toi qui as dévoilé les mystères du Graal ? – Je n’ai dévoilé aucun mystère, Perceval, j’ai simplement raconté une histoire à ceux qui voulaient bien m’entendre. Qu’ils la crussent ou ne la crussent pas, peu m’importait, car il incombe à chacun de nous, selon sa valeur, selon son esprit, selon son audace, de découvrir les grands secrets du monde. Je suis seulement une voix qui se fait entendre du fond des âges. – Merlin ! Merlin ! réponds-moi, je te prie : irai-je vraiment à la cour du Roi Pêcheur ? – Oui, tu iras, je te l’affirme, mais voilà tout ce que je puis te révéler là-dessus pour l’instant. Car tu as autre chose à faire, Perceval. Je vais te donner un conseil : si tu déposais ton brachet à terre, un beau prodige se produirait. »
La voix s’étant tue, Perceval eut beau héler Merlin deux ou trois fois encore, seul le silence lui répondit. Une brise légère faisait bruire les branches de l’arbre. Alors, le Gallois se décida : il posa le brachet sur l’herbe. Celui-ci lança trois aboiements si puissants que la forêt tout entière en retentit, puis il s’éloigna, la truffe au ras de l’humus, comme font les chiens qui traquent un gibier. Perceval le suivit le long des sentiers sinueux, et tant passèrent-ils de bois et de vallées qu’ils parvinrent enfin près d’un étang dans lequel se mirait la silhouette d’un château. Le brachet courut jusqu’à la porte qui était ouverte et pénétra dans la cour où le Gallois, craignant de le perdre de vue, le suivit aussitôt. Il lui semblait reconnaître l’édifice qui se dressait devant lui, bâti de belles pierres et richement orné.
N’apercevant plus trace du brachet, Perceval sauta à terre, attacha son cheval au montoir et, sitôt entré, se retrouva dans une grande salle dont le pavement était jonché de fleurs multicolores aux parfums suaves et innombrables. Au fond, une tenture de soie arborait des motifs dorés, verts et vermeils. Au milieu, se distinguait un lit disposé tout en long ; dessus s’était couché le brachet, fatigué de la course qu’il venait de faire ; et, près du lit, sur une table basse, Perceval vit l’échiquier dont les sortilèges avaient déclenché sa colère. Il regarda les précieux échecs avec admiration. « Dieu merci ! soupira-t-il, je suis arrivé où je voulais aller ! »
Il s’assit près de l’échiquier, prit les pièces et les disposa comme il convenait, puis saisit un pion. Il allait avancer celui-ci lorsque, devant lui, de la porte de la chambre, surgit la jeune fille à la chevelure brune. Elle était plus belle que jamais, et ses yeux rayonnaient d’une joie intense. À son entrée, le brachet sauta du lit, se précipita vers elle et se mit à japper en frétillant de tous ses membres. Perceval se leva à la rencontre de la jeune fille et la salua. « Seigneur, dit-elle, j’ai bien cru que tu m’avais trompée en emportant mon brachet, et j’ai cent fois déploré de t’avoir fait
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